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L'Anachronique Miettes d’été

octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107 | par Éric Holder

Sur la piste cyclable qui va de Vendays à Montalivet, petite station balnéaire de la côte médoquine, on voyait venir de loin, et avec lenteur, les vélocistes qui lanceraient un joyeux bonjour, d’autres qui se contenteraient, au passage, d’un hochement de tête, ceux, enfin, enfermés en eux-mêmes, et craignant l’accointance comme une salissure, qui n’accorderaient pas un regard, fût-ce au paysage, pourtant fort beau, forêts de pins, d’acacias, de chênes, marais d’où s’envolaient des cygnes, des cormorans, des aigrettes garzettes - et, dans la dernière ligne droite après laquelle on touchait à la plage, ajoncs, genêts, bruyère d’un mauve délicat.
Aujourd’hui qu’il n’y passe plus personne, la difficulté consiste à éviter les nids-de-poule où se sont formées des flaques, les jonchées de feuilles mortes sur lesquelles le biclou dérape, les marrons, dans leur bogue ou non, mais facteurs de gadins. Des coups de fusil rompent la respiration du vent dans les roselières. Des averses fines et subites estompent les lointains.
Quelques amis d’arrière-saison subsistent encore dans les parages. En octobre, dans les vignes qui rougissent, les vendanges ne sont pas achevées. Ces ultimes vacanciers brûlent des ceps dans la cheminée, glissent au-dessus de la braise l’entrecôte à la bordelaise, c’est-à-dire enduite d’échalotes finement hachées, après avoir débouché, quelques heures auparavant, un de ces vins qui font le tour du monde et qu’on acquiert ici pour le prix d’un petit beaujolais.
Puis ayant goûté un moment à l’existence rude, farouche, des habitants de la presqu’île lorsque tombent les premiers froids, ils s’en iront, eux aussi, verrouillant les contrevents, après avoir purgé les canalisations afin qu’elles n’éclatent point.
Nous resterons entre nous, avares de paroles, voûtés sous les nuages bas, fouettés par le vent de nord-ouest. Il restera en guise de pépites, au fond de la besace, les miettes de l’été.
Le marché de Montalivet, d’abord, où des guinguettes d’huîtres et de vin blanc, de dégustation de pineau, de Tariquet attirent le chaland avant qu’il se dirige vers les fromages basques, la charcuterie espagnole, les batiks indonésiens, les savons d’Alep. J’aidais une amie bouquiniste à déballer puis remballer son stand. Un baltringue, en quelque sorte. Parfois, vers 13 heures, si le marché avait été fructueux, une excitation sourdait des étals voisins. C’était une table soudain dressée à l’ombre d’un parasol, sur laquelle surgissaient des bouteilles, des fougasses, des olives, du saucisson, des tranches de melon - et les marchands d’éconduire leurs derniers clients. Tout marché comporte ses « tierquarts », ses quartiers. Le nôtre vidait ses camions, tôt le matin, au son de Jimi Hendrix et des Rolling Stones. The old baba’s club.
Parfois encore, ma copine, appelons-la Delphine, me laissait les rênes de son commerce, le temps d’effectuer quelques courses. J’ai vu des enfants se mettre à genoux devant leurs parents afin que ces derniers leur offrent des livres à trois sous que, bien entendu, ils n’achetaient pas - les mêmes déplorent sans doute que plus personne ne lise. J’ai vu des agriculteurs, mains calleuses, bleu de chauffe, repartir en compagnie de Nietzsche et de Merleau-Ponty. J’ai vu de très jeunes filles se jeter sur des sagas islandaises ou l’Iliade comme s’il s’agissait de pralines. Les forains eux-mêmes n’étaient pas en reste, qui réclamaient, pareil qu’au kilo, du Cormac McCarthy, du Cendrars, de l’Echenoz. Delphine me désignait de loin des individus en tongs, casquette Ricard, tee-shirt aux inscriptions quasi obscènes tendus par des ventres de femmes enceintes, dont absolument rien n’aurait laissé à penser qu’ils étaient des admirateurs de Vila-Matas ou de Kawabata.
Le 15 août, j’ai décidé de prendre moi aussi des vacances, celles dont je rêvais depuis trente ans - laisser un mot sur la table de la cuisine, et seulement porteur d’une chemise, d’un pull, d’une musette, partir le pouce en l’air. Le stop n’est plus ce qu’il était dans les années soixante-dix. Je n’ai été pris, successivement, que par des Maghrébins. J’en ai profité pour apprendre le début d’une sourate, « El Chèhèd », Bismila el lahmanel ah him… Je serais reconnaissant à toute personne pouvant m’indiquer où elle se trouve dans le Coran - je ne l’y ai pas reconnue, et l’on n’a pas su me la traduire.
J’ai gagné le centre de l’univers qui, s’il se situe de façon notoire en gare de Perpignan, est établi pour moi carrefour Buci, au cœur battant de la capitale, et particulièrement à l’hôtel La Louisiane, un établissement modeste qui faisait autrefois crédit aux artistes bohèmes. Moustaki en parle très bien, Albert Cossery, « l’Egyptien de Paris », l’auteur des Fainéants dans la vallée fertile, y a vécu presque toute sa vie. J’y croisais jadis Gérard Oberlé, le roi des libraires, le gastronome, l’écrivain de Retour à Zornhof, de La Vie est ainsi fête. On le dit malade. J’espère que tu te rétablis, Gérard.
Sans doute est-ce dû à leur aspect monacal, à leur petite table, et à ce qu’il faut bien appeler l’esprit du lieu, les chambres prêtent à écrire, et pas qu’un peu. La mienne donnait sur un puits de jour d’où montèrent, un beau début d’après-midi ensoleillé - la canicule régnait - des galanteries qu’un homme adressait à une femme, d’une fenêtre à l’autre. Une galanterie est étymologiquement un tendre mensonge, mais bientôt, les mots devinrent plus sincères et plus pressants. La femme riait, tant d’envie exprimée avec tant de franchise lui tournait la tête. Je ne sais qui passa dans la chambre de l’autre. On entendit des murmures, puis de douces plaintes. On ne pouvait pas fermer les fenêtres, de crainte d’étouffer. Paris est tout petit pour les gens qui l’aiment comme nous d’un aussi grand amour.

Miettes d’été Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°107 , octobre 2009.
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