Avec Au jour le jour de Joseph Julien Guglielmi, c’est une toute nouvelle collection, baptisée « Faut suivre », qu’inaugurent les éditions L’Act Mem. Une collection dont l’objet est de publier les anthologies personnelles des meilleurs poètes de notre modernité, ceux dont l’œuvre a débuté au milieu du siècle dernier. Choix de poèmes par l’auteur, manuscrits, photos, lectures de l’œuvre (par J. Sojcher ; B. Delvaille, Anne-Marie Lilti, J.-M. Gleize, P. Boulanger…) constituent donc ce premier volume. Né à Marseille en 1929, de parents italiens, J.J. Guglielmi fut instituteur mais est avant tout ce poète inassouvi et insatiable qu’on découvre au fil des vingt-cinq extraits de ce recueil.
Une œuvre qu’il faut accepter telle qu’elle s’offre, toujours au bord du déséquilibre. Faite de saisies passionnelles du réel, de suites gustatives d’effervescences flambées au jazz ou accommodées façon rock - « Musique pour saquer le poème / décoller les jambes / » attendere il sàtori« » - la poésie, chez Guglielmi, naît du corps, du désir butant sur sa propre chair ou sur le corps de l’autre. Du corps à corps violent avec la langue, aussi, toutes les langues, la charnelle, la maternelle, l’étrangère. « Penser à bouche de velours / parler à bouche queue veux-tu ». Source de jouissance, les langues, il les mixe, les marie à sa propre voix, les fait jouer entre elles pour le plaisir du son, du choc, de l’entremêlement. Au pas de charge ou en dansant, en apnée ou en tanguant, à coups de mots réorthographiés (fisiq, hom, fotos…), amputés ou agglutinés, il les fait danser, orchestrant la force du commencement avec l’errance du rêve, la plainte ou l’extase.
Qu’il use de l’écriture verticale ou de la disposition en strates, c’est à déborder « la houle du sens » qu’il ne cesse d’aspirer. Écriture désentravée, combinant « temps faibles et forts » de ce qui fait notre quotidien, ce au jour le jour fait d’emboîtements de sensations, de réels hasardeux, de faits et gestes, de souvenirs et de lectures. Et tout ça cascade en torrent plus ou moins clair, plus ou moins pailleté d’aurore ou de nuit, de citations et de silences. Et si « ce qu’on veut / dire n’est pas ce / qu’on écrit », c’est parce que le rythme commande, qu’il s’agit de « sucer le son avant le mot, / jamais de plan / écrire avant / de mettre à nu le modèleux, / accueillir les répétitions. Und la trouvaille ist poésie, / Acrobatie de la syllepse, / poésie / naît de l’hypallage / comme d’ / une larme musicienne ». Mépris du génitif, rapidité. « Poésie / est une langue / rapide pide et jamais ronde ! »
Qu’on lise Aube (1968), les Carnets de nul retour (2006), La Préparation des titres (1980) - véritable orgie linguistique incluant vers et prose et convoquant toutes les langues -, Grungy Project (1997) ou Joe’s Bunker (1991), livre éruptif où il s’attaque au bunker du sexe, de l’esprit, de l’attente, du souvenir, mais pas à celui de la poésie car « la poésie n’est pas / un bunker » mais « un moment d’aubaines / et joyeux augures » - ce qu’écrit Guglielmi ne cesse de nous jeter hors de nous, de creuser son sillage jusque-là où le ciel mange la terre, ou la beauté sifflante du vent a quelque chose d’enviable même si c’est sur fond de « refrains kalachnikov », de « climat catastrophé » ou de mort « qui pédale indéfiniment ».
Une poésie portée par l’onde noire du blues, nourrie autant des poètes américains qu’il a traduits que des classiques chinois, de Hölderlin, Pound, Montale, Borges, Baudrillard… Poésie flambant au-dessus du vide, rêvant de chair en gloire, « avec la lune massicotant la poésie / et ton corps comme un soleil / blanc ou un champ dans la nuit / d’argile tendre ou neige ».
Au jour le jour de Joseph Julien Guglielmi
L’Act Mem, 384 pages, 25 €
Poésie Le sillage Guglielmi
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Richard Blin
Voix fauve, langue charnelle, accords explosés, la poésie de Joseph Julien Guglielmi semble relever de la musique irradiée d’un reste de foudre.
Un livre
Le sillage Guglielmi
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.