Nihil et consolamentum : bâtons et poèmes cathares (bilingue occitan)
Le catharisme est-il compatible avec la vente de produits gras, carnés et la promotion du terroir ? Cette religion des plus austères s’est construite au XIIIe siècle en opposition au faste, à la corruption d’une Église catholique omnipotente. Sous prétexte d’hérésie, une guerre coloniale appelée croisade permit au royaume de France d’annexer les états du Sud. Des milliers de personnes furent pourchassées, torturées et carbonisées vivantes. Fut également inventée la plus formidable machine à décerveler et à broyer de l’humain : l’Inquisition.
Serge Pey, né en 1950, créa les revues Émeute en 1975 et Tribu en 1981. Le Toulousain, poète de l’oralité, de la mémoire, de l’action et de la performance, porte le Cosmos en sautoir, l’Universel en houppelande. Lorsqu’il scande, éructe sa poésie, il convoque le tellurique, le sacré. Aède, barde, griot, autant que chaman, ce fils de républicain espagnol n’a jamais cru au cloisonnement des arts, des peuples. Ses poèmes souvent uniquement oraux sont gravés sur des bâtons de noisetiers et regroupés par fagots qu’il expose. Ses textes disséminés chez des dizaines d’éditeurs s’avèrent souvent épuisés ou encore inédits. Les jeunes éditions Délit, dans un recueil d’excellente facture (mise en page, bilinguisme et dessins de l’auteur) offrent une compilation de poèmes autour de la croisade et du génocide albigeois. Dans la préface, « La dédicace des brûlés », Pey décrit sa manière de concevoir la poésie, de l’affronter à l’histoire, parle de l’universalité des massacres, revient sur la théologie cathare. « C’est l’Occitan et l’Hérésie qui m’apprirent le mouvement fondamental de ce poème. Il n’est pas de poésie de l’ordre et du dogme. Quand elle l’est, elle cesse, par là même, d’être poème dans la pyramide fasciste de toutes les oppressions. » Plus loin, il ajoute : « Aujourd’hui je vends des miroirs / à ceux / qui passent / alors qu’ils croient que je ne bouge plus. » Il égrène ensuite le nom de martyrs : « Pierre Isarn / Etait vêtu / De noir / Il est / Dans les flammes / Il a / Des mains noires / Des enfants / Des maisons / De voix noire / Il aiguise / des faux / Dans les feux noirs. »
Nihil et Consolamentum (texte de 1984, inédit version papier) développe un superbe oratorio sur la douleur, la compassion, la relation fils-père, l’interrogation cathare sur un Dieu venant du néant et créant le Rien. Le Consolamentum fut un sacrement transformant les simples croyants en Parfaits ou Bons Hommes ou Bonnes Femmes. S’engageant à se consacrer à une vie spirituelle et à aider les autres, ils ne devaient ni manger de viande, ni commettre d’homicide, ni influencer la justice humaine (siéger dans les tribunaux, à la différence du clergé catholique, très impliqué dans les affaires temporelles). « Le savoir c’est naître / A partir des os de ses / morts mais revêtu / De leur costume de marié ».
Bâtons de l’œil (1997, inédit) délivre une réflexion métaphysique sur la perception, la dualité : « La mort est l’ensemble des regards / qui regardent le monde / Moins le regard / Qui regarde le monde / De l’autre côté du monde. »
Dans Messe de minuit pour les plafonds de Toulouse (édité en 2000 chez Voix éditions et affiché sur les murs de la Ville rose), le peintre niçois Moretti en prend pour son grade. Son tort : avoir peint les plafonds de la place du Capitole d’allégories historiques contestables. « C’est Noël / Saint-Dominique distribue des hosties de sang / aux collabos de la ville / qui applaudissent Montségur à l’opéra / avec des lampes à souder ». Outrancier, humoristique, propre à faire retomber la pression d’un recueil sous tension, transcendé par la scansion, la psalmodie, la flamme vacillante des bûchers.
Nihil et Consolamentum de Serge Pey
Traduit du français vers l’occitan par Alem Surre Garcia, Délit éditions, 236 pages, 21 €