Barcelone, fin des années cinquante. Un jeune couple s’enlace parmi les débris d’une fête populaire. Il vient des quartiers ouvriers du Mont Carmel, pratique le recel de grosses cylindrées et joue sa survie quotidienne aux cartes sur le comptoir des bars. Elle est l’héritière d’aristocrates catalans, conduit une Floride blanche et se verrait bien en fille spirituelle de Simone de Beauvoir. Dans une Espagne puritaine (le franquisme est alors à mi-course), l’acharnement que Teresa et Manolo mettent à défendre leur transgressive idylle constitue presque un appel à la désobéissance sociale. C’est d’ailleurs peut-être, plutôt que l’amour, la nécessité de l’insoumission qui commande leur fascination réciproque. Scénario d’autant plus cruel qu’il se joue sur fond de tragédie (les liens se nouent dans une chambre d’hôpital où agonise la pauvre Maruja, soubrette de l’une et fiancée malheureuse de l’autre).
L’œuvre de Juan Marsé, né en 1933, est le produit d’un traumatisme fertile de la mémoire. D’une enfance difficile dans les bas-fonds de Barcelone, du souvenir encore palpable de la guerre civile, de son inquiétude pour une jeunesse en chantier, Marsé a fait une sorte de roman d’apprentissage sur lequel se détache le motif lancinant de la tentative d’évasion, de l’échappée belle et vaine, celle que contiennent les fameux après-midi avec Teresa. Sympathisant communiste, il s’attira les foudres de la bourgeoisie en rapportant sans détours les discours stériles d’une avant-garde intellectuelle à la poursuite d’un communisme idéalisé, nourri de fantasmes et d’images d’Epinal. Teresa, qui se veut pourtant une étudiante progressiste, « dialectique et objective », entrevoit dans les dernières pages sa propre inexpérience (« Qu’est-ce que l’opposition, en fin de compte ? Que signifie militer pour une cause ? Un communiste lui-même, qu’est-ce que c’est ? ») tandis que Manolo, vite oublié, croupit en prison. Parue en 1966, une chronique espagnole des années amères, un rien désabusée, portée par des personnages superbement incarnés, insolemment charnels.
Teresa l’après-midi
Juan Marsé
Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Points, 475 pages, 12,50 €
Domaine étranger Teresa
juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105
| par
Camille Decisier
Un livre
Teresa
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°105
, juillet 2009.