Au cœur de la solitude d’une vecindad mexicaine, un narrateur croupit dans l’ennui. Eden s’abîme dans le divertissement, au sens pascalien du terme. Spectacles d’humains sur le ring, combats interdits de chiens dans les bas-fonds d’une cité méphitique. Hypnotisé, il se jette dans un corps à corps délirant avec un molosse. Dépouillé, il reprend alors le cours de son existence erratique et misérable.
Instantané d’une société en pleine déréliction, ce roman donne la nausée, parce qu’il prend le risque fou, non de capter son lecteur, mais de l’enfermer, de le planter là. Le rideau de la narration s’ouvre crûment sur la misère de Mexico, ville innommable, lieu du dénuement. Sa loi est simple : suspecter pour survivre. Eden, c’est celui que Juan Manuel Servin a quitté en laissant Mexico derrière lui. Mieux vaut vivre ailleurs, sans statut ni papiers, plutôt que de gésir dans cet enfer-là.
Il y a chez Servin la volonté d’injecter dans la fiction la matière du fait divers qu’il utilise comme espace de dénonciation. Les saynètes pittoresques, les personnages éclopés pullulent : le faux épileptique mendiant, l’homosexuel cinéphile. Le monde se délite : l’acte charnel avec Felisa, l’étrange voisine, n’est qu’un nouveau combat où personne ne doit baisser la garde. Sous le patronage de Céline - l’épigraphe est empruntée à Mea Culpa -, ce roman de la haine retrace l’errance d’un Bardamu au Mexique. Aucune échappatoire, Felisa, avatar négatif de Molly dans Voyage au bout de la nuit, prend les traits d’une femme-serpent.
Passé le cap des trente premières pages, le texte rend l’ennui haletant et tend vers quelques moments d’héroïsme chevaleresque. Eden, guerrier du « Dieu de la revanche » semble « avoir laissé derrière un royaume de boue, de vecindades et de ruelles sombres et infranchissables pour (s’)enfoncer dans une nature faite de brouillard ». Personnage inspirateur du film Amours chiennes d’Alejandro González Iñárritu, sa vengeance accomplie, il ne reste sur le palais que l’arrière-goût de solitude qui ouvrait le livre.
CHAMBRES POUR
PERSONNES SEULES
DE JUAN MANUEL SERVIN
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Robert Amutio,
Les Allusifs, 133 pages, 16 €
Domaine étranger Chambres pour personnes seules
mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103
| par
Amélie Folliard
Un livre
Chambres pour personnes seules
Par
Amélie Folliard
Le Matricule des Anges n°103
, mai 2009.