On parle volontiers de François Maspero comme d’un dépositaire, et de son écriture comme d’une mise en retrait, un émargement volontaire par lequel tenir son propre personnage à distance au profit du témoignage historique et politique ; aujourd’hui pourtant, plutôt que de s’effacer devant les faits, l’homme s’y amarre plus solidement que jamais. Avec, pour tout cordage, le fil glissant du souvenir. On pourrait présenter Des saisons au bord de la mer comme un récit introspectif : l’auteur y revient sur les endroits aimés, avec une tendresse justement mélancolique - parce qu’elle est souvent placée sous le signe du retour : retour, par un itinéraire connu comme une chanson apprise par cœur, sur les lieux de l’enfance, quelque part au bord de la Manche : « Entre la fenêtre du wagon et le paysage, les fils télégraphiques tendus de poteau à poteau comme des portées musicales montaient et descendaient à une cadence qui variait selon la vitesse du train. » Retour de la famille, à la Libération, dans une demeure pillée et dévastée, dans laquelle il faut réapprendre à vivre. Retour, enfin, du narrateur au bord de la mer, bien des années plus tard, cette fois dans un autre corps, avec une autre voix - ceux de sa « fille aux yeux noirs », qui adopta une île…
Certes le filtrat familial et historique (que Maspero appela souvent, par autodérision, son « fonds de commerce ») dessine indéniablement les contours de ces Saisons. Rôdeuses, inspirantes tout autant qu’accablantes sont la figure du père, qui ne reviendra pas de Buchenwald, et celle du frère adoré, mort sur le champ de bataille aux côtés de la Résistance. Le texte offre, d’autre part, la possibilité d’y cerner une genèse de l’engagement de Maspero, de ses prises (et proses) de position. Pourtant ce récit, dans lequel le narrateur dit « il », puis « elle », mais jamais « je », fait sens par la précision presque charnelle avec laquelle s’accomplit, au-delà des circonstances, le travail remarquable sur la mémoire, fluctuante comme les vagues encerclant l’île, aussi imprévisible et mystérieuse que le ressac.
DES SAISONS AU BORD
DE LA MER
DE FRANçOIS MASPERO
Seuil, 172 pages, 15 €
Domaine français Des saisons
mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103
| par
Camille Decisier
Un livre
Des saisons
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°103
, mai 2009.