Un événement apparemment anodin, trois fois rien, suffit parfois à déclencher l’inspiration. Les mains s’animent alors, s’agitent, provoquant une espèce d’« enfer du côté des stylos ». Dans L’Alfa Romeo, cet événement revêt la forme d’une « liquidation ». Quelques heures seulement après avoir déposé un manuscrit chez son éditeur, la narratrice de ce bref récit conduit une « pauvre tire de 120 000 kilomètres » au purgatoire : un garage de Gentilly. Or, bien qu’elle avoue être dans l’incapacité de « différencier une Clio d’une R5, une 306 d’une Ford Fiesta », cette dernière ne pourra pas se résigner à abandonner la vieille Alfa de son fiancé aux mâchoires métalliques de la casse…
Comme l’hymne mexicain de Consuelito Velázquez du lancinant Bésame mucho (Gallimard, 1998), cette « chignole » borgne à la carrosserie rouge constitue un leitmotiv métonymiquement lié à une palanquée de souvenirs. Annie Cohen, dont l’écriture présente ceci de singulier qu’elle est tout à la fois franche du collier et ouvertement lyrique, empoigne le lecteur, l’entraînant au cœur de la ritournelle d’inoubliables « virées en banlieue » et autres balades. Prise dans le « cercle de l’obsession », elle convoque le très cartésien Méthode, chien-maître d’amis, le témoignage du « fantôme des fours » Filip Müller Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, une « naine marocaine », le Café de France, etc.
Mais pourquoi est-il si difficile de refourguer une pauvre caisse ? Vivre sans bagnole, ça fait pourtant un autre corps, « soumis à sa seule vigueur » ; un « corps de poète qui marche dans les rues, le nez au vent, actif ». Pourquoi se réjouir du fait qu’un Jordanien s’y intéresse in extremis, la retape ? Peut-être, tout simplement, parce que L’Alfa Romeo est une sorte de métaphore du corps de l’écrivain. Un corps-carcasse à géographie variable (cf. Géographie des origines, Lmda N(o) 82) qui se fout pas mal des « itinéraires de l’enfance », des frontières, et s’enivre au contact de tous les « paysages de la terre ».
l’alfa romeo
d’annie cohen
Zulma, 103 pages, 9,50 €
Domaine français Alfa Roméo
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Jérôme Goude
Un livre
Alfa Roméo
Par
Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.