L’homme dont parle Jacques Rebotier a singulièrement perdu de sa superbe. Il n’est guère beaucoup plus digne que ses collègues animaux. Privé de son « h » initial, le voici devenu « l’omme », plus proche de l’amibe que des bêtes nobles : hippopotame, hibou, hamster et autres. L’omme de Jacques Rebotier n’est plus qu’un mammifère inconnu, résidant en banlieue de la Création. À noter que « Dieu » n’y a pas vraiment gagné non plus : le Créateur est devenu « Vieu ».
La Description de l’omme est une œuvre encyclopédique d’un genre un peu particulier. À la fois traité des passions, ouvrage d’anatomie comparée, essai anthropologique sur les religions ou sur les gouvernements, c’est une somme. Un peu Montaigne des Essais, un peu Buffon, lorsqu’il cherche à décrire et à classer le spécimen humain, Description de l’omme ajoute aussi à l’étude du corps de l’ « omme » ses découvertes les plus importantes : le porno, Richard Virenque, la démocratie participative, Star Wars… Pour saisir l’ « omme » dans sa complexité, il est nécessaire d’adopter un champ d’étude large. Rebotier utilise le mode du burlesque, en mélangeant la poésie enfantine et le bon sens, la chose du monde la mieux partagée. Comptant sur ses doigts, tripotant les concepts, et nourrissant son lecteur au calembour, il énonce ses axiomes : l’homme est gouverné par le chiffre deux. La nature et le comportement de l’omme peuvent être réductibles à deux éléments déterminants : les trous et les boules.
« Mesurez votre taux de pensée inique. »
La règle est édictée : cet effondrement un peu potache et souvent drôle du système humain prendra racine dans ces prémices poético-savantes, parfois énoncées par « Raymond Libell’ull », ou inspirés par « René François, prédicateurs du roy ». La Description de l’omme égrène, au fil de ses 49 chapitres, paragraphes numérotés, et alinea, tous ses axiomes et définitions : « l’omme s’exerce à sculpter (l’air) au moyen de sa louche, mâchoire, langue, lèvres, de façon à émettre des sons ». Parfois poétiques : « L’omme est doublé sur le sol d’une flaque grise, (qui) gire et vire, fait des voltes, et vole aléatoire, dans ses évolutions, danse des révolutions », parfois définitifs : « Le plaisir, c’est quand ça passe par des trous ».
Description de l’omme est aussi un texte ouvert, qui à la manière des livres-jeu graphiques propose un mode de lecture libre et participatif. « Ecrivez ici vos impressions », « Mesurez votre taux de pensée inique »… Au lecteur de trouver l’ordre de sa lecture dans ce « jargon de galimatias, propos sans suite, tissu de pièces rapportées (…) entrelardé de mots propres à (la) dispute ». Également marqué par le scepticisme humaniste du maire de Bordeaux, il revisite celui-ci à la mode contemporaine : ludique et légère.
Le théâtre, dans tout ça ? Il semble que Description de l’omme ne soit pas tant un texte définitif qu’un laboratoire servant à l’homme de théâtre qu’est Jacques Rebotier de support. Tout réduire à sa signification première, au dénominateur commun et à une origine unique revient à déterminer l’essence des choses. Rebotier, homme du geste et homme du signe, décrypte dans la mécanique physique et sociale complexe de l’humain le chiffre du sens et de l’expression. En somme, ces boules et ces trous disent aussi, en plein et en creux, la binarité d’un être humain dont la noblesse aujourd’hui n’apparaît plus comme une évidence. Sauf peut-être le plaisir : « A notre vie agonique, on peut cependant apporter quelques soins palliatifs : alcool de mirabelle, viskie, tango, p’tit(e)s pépé(e)s »… La jouissance et la joie, comme les deux voies permettant à l’homme de retrouver sa noblesse : le « rhâle » du plaisir, c’est ce par quoi l’homme trouve son « h » disparu.
Description de l’omme de Jacques Rebotier
Verticales, 366 pages, 25 €
Théâtre Table des matières
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Etienne Leterrier-Grimal
La Description de l’omme de Jacques Rebotier offre une description à la fois encyclopédique et potache de la société humaine.
Un livre
Table des matières
Par
Etienne Leterrier-Grimal
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.