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Zoom Tristesse et beauté

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Richard Blin

C’est à un voyage fascinant et mélancolique dans la poésie japonaise et l’œuvre photographique de Araki que nous invite Philippe Forest.

Haikus, etc. (suivi de) 43 secondes

Araki enfin : L’Homme qui ne vécut que pour aimer

Ceux qui ont aimé Sarinagara (Gallimard, 2004) et affectionnent le regard amoureusement rêveur que Philippe Forest porte sur la culture et la littérature japonaises, peuvent se réjouir car c’est dans leur continuité que s’inscrivent Araki enfin et Haikus, etc. Deux ouvrages particulièrement attachants tant ils relèvent d’une parole critique incarnée, fraternelle, qui, plutôt que de chercher à établir l’introuvable signification objective d’un texte, en fait « le lieu même d’une disponibilité rêveuse et subjective » - rêverie qui fait du lecteur « celui qui voit et celui qui vit, celui qui souffre au sacrifice splendide du temps et celui qui, survivant à celui-ci, fait de lui la matière d’un spectacle suffisant », comme dans le théâtre nô.
Venant à nous sous forme de mots et d’images « nues de tout », la culture japonaise exige cependant un minimum de connaissances. Et c’est là que Philippe Forest se révèle très précieux. Ne serait-ce que pour nous aider à nous défaire de certaines idées fausses. Le haiku, par exemple, dans lequel on a voulu voir l’expression d’une sagesse immémoriale, la manifestation du « satori » ou l’essence de la poésie pure, a d’abord été un jeu relevant de « l’enfance de l’art s’exerçant contre la littérature ». Souvent cité seul ou recueilli dans des anthologies qui effacent tout du contexte dans lequel il apparaît, le haiku semble se suffire à lui-même, ne se rapporter à rien d’extérieur à lui, alors que la prose l’intègre, qu’il est ce qui la suspend. Bashô comme Issa pratiquèrent l’art du journal intime et celui du récit poétique. Journaux, récits de voyages dans lesquels le haiku capture le jeu de l’invariant et du fluctuant se détachant sur le fond trivial ou enchanteur du monde. Car le haiku suppose en arrière-plan la prose du monde et la trame du temps, celle qu’il vient inciser légèrement, ouvrant « la vrille d’un vertige » sur nulle part, « précipitant le passage du présent puis le suspendant sur la pointe insignifiante d’un seul instant ». Une conception de l’être et du temps où l’homme est un passant parmi les apparences, et la littérature « la miroitante étoffe des songes dont nous sommes faits ».

Araki est l’auteur d’un singulier « roman du je ».

Engager le désir et le deuil dans un dialogue scandaleux avec la beauté et l’érotisme, c’est ce que fait l’œuvre photographique de Araki. En 31 images et 217 notations, c’est son portrait fragmentaire et fictif que nous donne Philippe Forest. Celui d’un homme né à Tokyo en 1940 et qui a fait de sa vie une légende. « J’étais à peine sorti du ventre de ma mère que je me retournai et photographiai son sexe ». Génie autoproclamé et terriblement jalousé, qui a su satisfaire la demande occidentale d’érotisme et d’exotisme, de modernité et de tradition, il est à la tête d’une œuvre qui ne se réduit pas aux contresens esthétisants et aux investissements pervers qu’elle suscite. Car si ses photos documentent l’art d’aimer sous toutes ses formes, donnent à voir la grande comédie du sexe ou des images relevant de l’art de la corde - « Les cordes, dit-il, sont comme une caresse, elles enlacent le modèle comme le feraient mes bras » -, et s’il couche avec ses modèles pour mieux les photographier - et non le contraire -, Araki est surtout l’auteur d’un singulier « roman du je », placé sous le signe de la plus extrême dépense et de la constante répétition. Chaque photographie, chaque album prend place dans « le mouvement passant » du récit de sa vie. Des souvenirs de l’effrayante fête que dut être le bombardement de Tokyo, la nuit du 9 mars 1945 (100 000 victimes), aux images de son voyage de noces, en passant par ses photographies d’enfants, de femmes entre deux âges (« Il n’y a rien de plus spectaculaire qu’une femme entre deux âges »), de ciels (après la mort de sa femme), de fleurs, c’est ce qu’il vit que photographie Araki. Le « cela a été », la suite des moments constituant l’incessant « work in progress » de la fiction d’une mémoire réfléchissant des événements dont il est à la fois l’acteur et le témoin. D’où une œuvre non organisée en périodes, où coexistent des images relevant de l’expérimentation formelle, comme des clichés de sexe frontalement offerts et ouverts, ou des photos d’objets et de fleurs.
Une œuvre qui décline le vertige exalté et tragique de la vie. Qui vit de la perpétuelle renaissance du désir, de la toujours magique rencontre du corps nu, « l’improbable merveille de tel être soudainement dénudé ». Une œuvre qu’on dit parfois obscène en oubliant que l’obscénité « peut être aussi la nôtre devant un corps aimé ». Qui suggère aussi que l’image est peut-être « un leurre séduisant dont l’usage est au fond strictement sexuel et que c’est de l’ignoble que l’on jouit toujours lorsque c’est la beauté que l’on croit posséder ». Une œuvre dont la force de scandale et d’enchantement invite à tous les rêves.

Philippe Forest
Haikus, etc.
Cécile Defaut, 160 pages, 16
et Araki enfin
Gallimard, « Art et artistes », 160 pages, 25

Tristesse et beauté Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.
LMDA PDF n°98
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