Les Mégères de la mer (suivi de) Poèmes de Samuel Wood
Mince en volume mais pleinement efficiente, l’œuvre poétique de Louis-René des Forêts (1918-2000) tient en deux recueils ne totalisant pas plus d’une soixantaine de pages. Publié en 1967 au Mercure de France, Les Mégères de la mer est un long poème divisé en laisses irrégulières. Près de 300 vers au phrasé d’une ampleur rare - le vers de 13 à 17 pieds excédant largement l’alexandrin. Un poème épique mêlant l’évocation à l’incantation, mû par une fureur sourde, et porté par le rythme obsédant du sabbat des vagues. Une langue à déclamer, à savourer dans sa véhémence comme dans sa richesse allitérative et assonantique. Un poème où le narrateur se dédoublant entre l’enfant qu’il fut et l’adulte qu’il est devenu, raconte une scène traumatique, la perte de la plénitude de l’innocence enfantine.
Nous sommes au bord de la mer, près de falaises où vivent quelques mégères troglodytes - « momies des cavernes qui ne semblent vêtues que de leur ombre « , » gorgones chenues », aux « profils géminés « , » méduses baveuses » lançant au rebours du vent leurs « gerbes de déraison ». Toutes très vieilles à l’exception de l’une d’elles, à la « blanche splendeur », « vieille fille d’enfer sortie de quelque conte » mais dont le regard est « périlleusement doux « . »Elle dénoue ma peur, elle apprivoise mes défiances/ Ouvrant en offrande sa main bien vivante et chaude ». Fasciné, le gamin, écartelé entre l’éveil à l’interdit et l’irrésistible attraction qu’exerce ce vaste corps maternel où il sent qu’il aimerait se fondre, sur fond de vent, de vagues et de musique océane. « Son doigt m’agrafe à distance, mais je ne puis bondir/ Tant m’étouffent peur et jubilation, tant me mord au cœur/ Dans un bruit cavalier d’écume et de tambour/ Le désir vertigineux qui me crucifie au sable ! »
De ce naufrage de l’enfance dans le face à face avec ces mégères aussi médusantes que la découverte du sexe et de la mort, Louis-René des Forêts se souvient. Il s’en veut encore comme il en veut aux sortilèges maléfiques de la langue dont les Mégères sont un peu la métaphore. C’est à leur pouvoir de séduction qu’il faut échapper. Morale que répercute et reformule, vingt et un ans plus tard, en 1988, les Poèmes de Samuel Wood.
Ils regroupent onze chants dont les vers oscillent de huit à dix-huit syllabes. La voix est beaucoup plus dépouillée, presque austère et quasi méditative. Voix qui évoque les ombres qui hantent le scripteur. Voix qui dénonce le leurre des rêves, le narcissisme de l’écrivain, « bouffon sur son tréteau de songes et de mensonges/ Affublé de triste chair et de parole faussaire ». Voix qui stigmatise le « rituel trompeur de la phrase », sa rhétorique mensongère et ses images qui aveuglent de leur splendeur. « Trop belles sont ces images engourdies dans leurs poses,/ Qu’on voudrait voir dévêtues et fouettée jusqu’au sang ». Ce que nous disent finalement les Poèmes de Samuel Wood, c’est qu’il faut dépouiller le langage de ses prestiges, de ses ornements, de tout ce qui n’est que volonté de séduire - elle est là l’imposture du langage, au profit de la voie du cœur, d’une langue généreuse de sa seule justesse. Aller au plus nu mais à la manière de l’orage « dont on ne sait s’il se rapproche ou s’en va ».
Les MégÈres de la mer (suivi de) PoÈmes de Samuel Wood de Louis-René des FOrÊts - Préface de Richard Millet
Poésie/Gallimard, 96 pages, 4,50 €