Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars
Après dix ans d’absence, dix ans qui correspondent à la mort de la mère, Le père revient voir La fille, un soir. Il se sait condamné et vient lui demander de l’aider à mourir. Il espère aussi apaiser, un peu, le passé. L’affrontement démarre dès les premières répliques. Les mots sont autant de coups portés : « Ma fille/ tu es aussi imbécile que ton père/ aussi laide et sèche/ et bientôt seule et ridée/ Et c’est pour ça que je t’aime », ça c’est pour le père. « Je n’ai aucun devoir envers toi/ aucune obligation/ Et merci pour ça/ seulement pour ça/ de m’avoir si peu donné/ que je sois quitte avec toi », ça c’est pour la fille. Carole Thibaut met en jeu trois protagonistes : le père, la fille et l’ami, dont la présence va permettre à la parole de se dérouler. Les trois n’ont pas de nom, ils portent juste la fonction familiale, celle qui empêche la fille de devenir femme, parce qu’elle reste clouée à la violence de son passé. Elle reste la fille qui recevait les « justes » corrections de son père.
Pour décrire cette violence ordinaire, la boisson, les coups que l’on a reçus puis ceux que l’on donne, l’auteur use d’une langue dure, faite de silences et de répliques qui ressemblent à des flèches.
Le texte est écrit sans aucune ponctuation, seuls des retours à la ligne indiquent un rythme de parole bref. Il n’y a pas de place pour l’effusion. Tout au long de cette nuit où les vieux démons et les monstres sont reconvoqués, les trois vont arriver à dire l’énormité, à se livrer, un peu, dans une langue économe de ses mots, qui raconte combien la parole a du mal à sortir et combien, pourtant, elle est nécessaire. La pièce est une constante mise en tension, dans une énergie proche de la survie. On est bousculé par cette histoire qui dissèque la violence intime, tout en cherchant aussi les moyens de déposer les armes.
Faut-il laisser les vieux pÈres manger seuls aux comptoirs des bars de Carole Thibaut
Lansman, 70 pages, 9 €