C’est sous une tente marocaine et aux sons de chants traditionnels de Turquie et des Balkans que Bleu autour a fêté le mois dernier ses dix ans, chez lui, à Saint-Pourçain-sur-Sioule, jolie bourgade à mi-chemin de Vichy et Moulins. « Une belle java », sourit son énergique fondateur, Patrice Rötig, 54 ans. Il vit ici depuis trente ans « On est plus libre qu’en ville, on y respire mieux » partageant aujourd’hui ses heures entre le bureau et une bâtisse en pleine forêt louée à l’ONF. Voila une maison qui pratique l’art du contre-pied : elle a choisi le rouge pour colorer ses couvertures, et revendique son ancrage régional quand son catalogue ne cesse d’interroger les mémoires du monde. Mais l’universel, c’est bien le local moins les murs, nous rappelle Miguel Torga. Pour Rötig, il n’est pas sûr que tous les murs soient tombés.
Bleu autour publie des récits littéraires, des essais, des livres un peu hybrides où l’image peut accompagner le texte lorsqu’il s’agit de rendre compte, par exemple, des camps de réfugiés tchétchènes, ou des Chibanis, ces vieux Algériens, installés en Auvergne, « supplétifs des Trente glorieuses ». Et au carrefour de ces chemins, comme une synthèse, on trouve l’élégante revue thématique Jim.
Leïla Sebbar et Nedim Gürsel, Jean-Luc Coudray et Michel C. Thomas, Jean Lebrun, Pierre Loti, entre autres : tous à leur façon partagent ce désir d’appartenance à un lieu, toujours à la croisée de l’intime et de l’histoire collective. « On établit des ponts » entre les cultures, tout en nourrissant le débat, insiste Patrice Rötig, qui vécut sa petite enfance à Istanbul.
Depuis deux ans, la petite boutique monte en puissance, même si « le pôle édition n’est pas encore à l’équilibre » (50% du chiffre d’affaires de la SARL provient de ses activités de presse). Entouré de Jean-Marc Pennetier, Pierre Thomas, et de son fils Simon, Patrice Rötig se consacre à « 100 %» aux livres. De la lecture (exigeante !) des textes, à son travail de « chauffeur-livreur ». Toute l’équipe carbure à l’enthousiasme. « Je me pose assez peu de questions métaphysiques. Il ne faut pas douter, croire en son projet, et foncer. » Après avoir créé l’an dernier « La petite collection », Bleu autour s’intéresse maintenant au livre à 1 e.
Vous avez lancé Bleu autour avec la collection « D’un lieu l’autre ». Quel était le projet ?
À l’origine, je suis journaliste. Après un Deug d’histoire, j’ai fait une école, le CFJ, mais ne suis pas resté très longtemps. Je voulais quitter Paris et le milieu d’où je sortais, un milieu bourgeois, catholique et réactionnaire. Mon projet était de m’implanter à la campagne, investir un petit coin de territoire, pour tenter de comprendre cette autre France, tel un expatrié. Je suis arrivé ici en 1977, je ne connaissais personne hormis une famille de paysans qui m’avait accueilli durant des camps de mission organisés par mon collège de jésuites : cette famille-là m’a prêté un bout de maison. Ça a démarré...
Éditeur Le goût de l’autre
avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82
| par
Philippe Savary
Réunir ce qui sépare, explorer les lieux de mémoire, mêler les mots aux images : installées dans l’Allier, les Éditions Bleu autour cherchent à donner à lire, autrement.
Un éditeur