Avec Christian Hubin, c’est du mystère consubstantiel à la poésie qu’il s’agit, de ce qui en elle, loin de toute illusion de prise sur le monde, mine tout discours, et oblige à fréquenter les limbes du langage, comme à habiter l’intervalle entre ce qui est veut être ou a été et ce qui cherche à le dire. Le poème, alors, devient ce lieu d’improbable saisie où se donne à entendre un peu de l’inarticulable de cette expérience.
Expérience de la stupeur et de l’altérité, de la syncope et du spasmodique. Bribes de processus, éclats épiphaniques, trouée soudaine, consonances sans accords, c’est l’ombre ou l’écho de ces manifestations lacunaires que le poème cherche à recueillir ; « Comme/ quan // presque // devant ». C’est l’invisible ossature de ce qui sans cesse échappe, l’expression ruinée de ce qui s’est à peine matérialisé, l’âme de cet inconçu, le contrepoint de ce déploiement muet, que tente de noter, avant
qu’il ne se dilue définitivement dans l’haleine du monde, le poème de Christian Hubin. Un rythme,
une variation musicale, un hoquet. La couleur sonore d’un soupçon de présence, la ponctuation erratique d’une déglutition d’ultérieur ou d’une résurgence désorientée. « Dont/ qu’est-ce/ que // soutenant // et // Pourquoi vous détournez-vous ? ».
D’un instant soluble, il ne reste plus que « la limaille/ sans// présent », le surgissement tétanisé, la substance veuve d’une pure surrection. « Dont // où/ à hauteur,// qui// avec/ là ». De la culmination arrêtée dont bouge encore l’ici et l’insu. Un trouble se propageant par ondes brèves, cadences silencieuses, et débordant le langage de tous côtés. Avec Hubin, on est dans le maintenant d’un autre temps dont bouge les limites, un temps rétractile, flexible, polymorphe. On est dans l’en deçà ou l’au-delà du phénomène, dans l’orbe de ce qui n’est pas entré dans l’ordre des significations. Dans du réel en transmutation, dans de la densité alvéolée d’impensable, dans la floculation d’une velléité, la coagulation à peine visible de ce qui est sans être. « Une silhouette/ qu’on n’est pas,// que bouger/ comble ».
Suspendue, décantée, proche des harmoniques d’une pure intention ondoyante, la poésie de Christian Hubin relève du monde d’avant le Moi, du domaine de la préexistence et de la préfiguration. Une écriture en apnée, mêlant le tactile à l’intermittent, et la dés-apparition aux signes venus de ce fond sans fond, et dont on perçoit parfois l’ombre dans les ricochets de la lumière, « par tact bref/ du// quitté ».
Richard Blin
Dont bouge
Christian Hubin
José Corti, 96 pages, 13 €
Poésie À contre-jour
janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79
| par
Richard Blin
Un livre
À contre-jour
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°79
, janvier 2007.