À travers ce récit autobiographique mêlant diverses formes littéraires, Hoàng Ngoc Phach (1896-1973) relate un amour de jeunesse sans espoir pour cause de tradition, celle de la « dette de naissance » contractée par les enfants auprès de parents omnipotents. Après avoir baptisé sa belle du nom d’une orchidée To-Tâm ou « Cœur pur », il décrit, mâle flatté mais coupable, l’éclosion puis l’épanouissement de ses sentiments pour lui. Promis chacun de leur côté, les amoureux échangent des lettres où leur passion se nourrit de métaphores empruntées à la poésie chinoise et vietnamienne. Genre auquel l’étudiant s’essaie non sans succès lorsque l’heure vient de rappeler To-Tâm à sa condition : « Etre une fille c’est avoir le sort d’une goutte d’eau ». Trop tard. Elle s’étiole dans les bras d’un époux imposé par la famille et dépeint ses derniers jours dans un journal intime déchirant de dignité.
Roman psychologique rappelant La Princesse de Clèves par sa brièveté, sa lucidité et un apprêt précieux, Un cœur pur passe pour avoir initié la littérature contemporaine vietnamienne. Publié en 1925 à Hanoï, il compte parmi les premiers écrits en quoc-ngu, langue inventée par les missionnaires au XVIe siècle puis reprise par les Français pour repousser l’influence chinoise avant de fédérer le mouvement anticolonialiste auquel participa l’auteur. Roman fondateur, charnière entre passé ancestral broyeur d’individu et futur improbable d’une nation encore dans les limbes, il fut accusé de désuétude par la génération suivante avide de nouvelles identifications. Qualificatif à l’opposé de cette héroïne dont la présence et la noblesse semblent capables de résister à toutes les idéologies.
Un cœur pur de Hoàng Ngoc Phach
Traduit du vietnamien par Michèle Sullivan et Emmanuel Le Oc Mach, Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 111 pages, 13,50 €
Domaine étranger Une goutte d’eau
septembre 2006 | Le Matricule des Anges n°76
| par
Françoise Monfort
Un livre
Une goutte d’eau
Par
Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°76
, septembre 2006.