On est globalement satisfait de lire la poésie de Nathalie Quintane. Au pire, on suit une phrase stylée et dans son plus simple appareil syntaxique inventive. Au mieux, on s’arrête sur l’évidence incongrue d’une proposition logique à rebours de toute convenance. Seulement, avec ce dixième livre il s’agit d’un premier roman, et ça change tout. Cavale ressemble à une improvisation échevelée de multiples morceaux de musique, certains irrégulièrement récurrents, d’autres ponctuels, le tout sur le principe d’un absolu et joyeux arbitraire. Cela fatigue un peu. Ainsi que de multiples allusions historiques et géographiques dont le rôle n’est pas d’asseoir un univers, mais plutôt d’établir un zapping à travers le temps et l’espace. Le seul fil à attraper est le « je » du narrateur, sans que figure ou intrigue en émergent, interférant avec un « nous » de l’auteur.
Mieux vaut y voir un gisement de pièces en prose… poétique. Non pas à cause de ces nouveaux monologues, baroques, loufoques et fluides, genre qui n’est pas introuvable ailleurs. Mais à la faveur de moments quasi pongiens dans le style comme dans le propos (« je vais alors m’approcher de cet arbre jusqu’à l’habiter, et ainsi j’habiterai, en quelque sorte, le monde »), ou encore teintés de Wittgenstein : « ce qui s’est écarté a permis la perception ». Quand au lieu de cavaler, on se délecte des passages relevés à la pointe attique (« on avance et par flashes les choses se fixent puis se retirent aussitôt, et on tient cette pudeur pour la sienne »), ici caustiques, là scabreux, toujours esthétiquement achevés. De là à en faire un tout, alors que l’auteur déclare « faire confiance au mental » du lecteur, on peine un peu.
Cavale de Nathalie Quintane
P.O.L, 245 pages, 19 €
Domaine français Échappée belle ?
juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75
| par
Marta Krol
Un livre
Échappée belle ?
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°75
, juillet 2006.