Les regrets sont une affaire de perspective », le ton est donné avec cette citation d’Hélène Bessette en ouverture de Par les routes. Les lamentations ne parsèment pas l’itinéraire de cette pièce qui laisse plutôt libre court à une vitalité joyeuse et tendre. Le lecteur retrouve toujours avec plaisir l’écriture de Noëlle Renaude, son humour, son regard décalé et pourtant familier. L’écrivain nous raconte des histoires simples où se mêlent des petites préoccupations quotidiennes, plutôt drôles, et des questions plus graves comme celle de la mort et du deuil. Un mélange et une énergie très singuliers.
Comme le titre l’indique, avec Par les routes, Noëlle Renaude nous plonge dans un « road movie » théâtral, qui partirait de l’Ile-de-France, traverserait la région Centre, hésiterait à poursuivre vers la mer pour finalement se diriger vers Lyon et la frontière. Un voyage où les pensées flottent, se développent au grès des kilomètres parcourus, tout en étant sans cesse entrecoupées par la traversée des paysages, des villes, la vision des panneaux publicitaires, des centrales nucléaires, les animaux aperçus le long de la route, des accidents… Avec aussi des rencontres plutôt typées, comme ce gros garçon tout blanc qui ne prononce que des « é » fermés, assis sur sa « piérre » et « se grattant sa grosse téte de sa grasse menotte », ou ce couple d’épiciers arthritiques, avec des flots d’acide urique jusque dans leurs mots… Presque tous évoqueront à un moment ou un autre la mort de leur mère qui sont peut-être en train de papoter ensemble sur un nuage. « C’est inouï comme tout le monde perd sa mère en ce moment », ponctue l’un des voyageurs.
Chez Noëlle Renaude, la parole impulse le mouvement, l’auteur crée par ses sonorités, ses rythmiques, ses espacements et ses blancs dans la page tout un monde.
« Il est 15:40/ L’Indre/ L’Indre : l’esprit d’entreprendre/ (…) Réduisez votre vitesse soyez gentils : population ralentie voire inerte/ Je m’endors moi/ J’ai tant de mal à l’évoquer/ Sauf en creux/ Ta mère ?/ Moi pareil/ J’ai tant de mal à en parler/ De ta mère ?/ Oui / Moi pareil / J’en parle si peu/ Pareil/ Bricolos : comparer nos prix c’est nous adopter/ Sushi express/ C’est que c’est une chose unique que de perdre sa mère/ Terrain militaire/ Cette chose on la vit une fois pas deux/ Je pique du nez/ Manœuvres/ Et pour nous c’est chose faite/ Ui ».
Noëlle Renaude en appelle au jeu, à l’invention, au ludique pour ceux qui veulent porter ses mots sur scène. Déjà, il faut trouver l’itinéraire de cette parole, choisir qui parle. Trouver ce décalage et cette légèreté, comme une manière élégante et joyeuse de dire nos ratages.
À noter que la deuxième partie de l’ouvrage (ce n’est pas notre préférée) est constituée de la publication d’une série d’articles autour de la question de l’espace. Noëlle Renaude évoque les deux espaces de l’écriture pour le théâtre : celui de la page et celui du plateau. Le second semblant pour elle une question des plus épineuses, elle a eu envie de demander à des compagnons de route d’écrire le plus concrètement possible sur leur relation à l’espace, privé ou professionnel, comment ils le fabriquent, le perçoivent. Huit prises de paroles très singulières.
* Par les routes est une commande pour Christophe Brault et Jean-Paul Dias de Travaux Publics Cie Frédéric Maragnani pour sa création à Paris le 12 janvier 2006 à Théâtre Ouvert.
Noelle Renaude
Par les routes
(suivi de)
Des écritures
dans l’espace
par Hervé Blutsch,
Robert Cantarella, Damien Chaîne, Rodolphe Congé, Céline Hersant, Frédéric Maragnani, François
Raffinot, Noëlle Renaude.
Théâtre Ouvert enjeux
172 pages, 12 €
Théâtre Les temps du voyage
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Laurence Cazaux
Les pièces de Noëlle Renaude empruntent souvent des chemins de traverse. Là c’est quasiment la France entière qui est traversée dans ce « road movie » théâtral.
Un livre
Les temps du voyage
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.