Une mère de famille porte le deuil de son fils aîné, mort encore enfant quelques années auparavant. Véritable mater dolorosa entêtée, elle se sert de son deuil comme d’une oriflamme. Elle s’y complaît, fait de la chambre de l’enfant disparu le sanctuaire exclusif de sa tragédie. Elle se sépare de tous ceux qui se montrent indignes d’un tel culte : le père, les sœurs, l’autre frère.
Le premier roman d’Anne Godard, née en 1971, reposera les zygomatiques du lecteur. C’est un livre noir, obstiné, implacable. Écrit à la seconde personne du singulier, le récit nous fait pénétrer comme en un procès intime au cœur d’une conscience fermée à double tour sur une blessure dont elle ne désire aucune guérison. Cette femme-là (qui fut enfant pendant la Seconde Guerre mondiale) ne vit que pour porter le noir de la mort de son aîné. L’écriture d’Anne Godard est belle, précise. Son tutoiement a quelque chose de lancinant : on le voudrait amical d’abord, on le comprend de plus en plus inquisiteur. De cette folie, que la langue vient peu à peu éclairer, on voudrait rester indemne, la rejeter à notre tour, comme l’ont fait ici tous les amis et parents de l’héroïne. Qui parle ? Ce « tu » est-il un je ? Est-il la voix d’un tribunal, qui, bien qu’aimant, ne saurait passer sous silence la monstruosité de cet amour maternel qui préfère la mort à toute vie ? « Tu as aimé sa mort tout de suite, tu t’y es sentie bien, comme si c’était enfin ta place, enfin le rôle qui t’attendait. Tu as aimé sa mort, qui te le donnait tout entier, plus que tu n’aurais pu aimer sa vie. »
Si ce sombre roman manque cruellement d’ouverture, du moins porte-t-il en lui la naissance d’un écrivain.
L’Inconsolable d’Anne Godard
Éditions de Minuit, 156 pages, 13,50 €
Domaine français Cœur de pierre
février 2006 | Le Matricule des Anges n°70
| par
Thierry Guichard
Un livre
Cœur de pierre
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°70
, février 2006.