Faire part N°16/17
Les revues littéraires d’avant-garde qui ont marqué les années 60/70 ont eu leur commémoration : Tel quel, TXT ou encore Action poétique. Étrangement, l’histoire de Change (comme son héritage) est tombée dans l’oubli. Elle n’a suscité guère d’élans rétrospectifs, hormis une émission sur France Culture (« Surpris par la nuit ») en avril 2001. Ce jour-là, les sons avaient été enregistrés séparément, la plupart des invités ne souhaitaient pas se rencontrer… Éditée par Le Seuil dès ses débuts en 1968, ensuite par Seghers/Laffont, Change participa activement à l’effervescence théorique des années 70 : elle publiera une quarantaine de numéros thématiques, mais également des livres (Danielle Collobert, Agnès Rouzier), avant sa disparition en 1983. Le groupe Change était un lieu ouvert, « polygraphique », contestataire. Il sera également lié au Cercle Polivanov, dont les travaux de recherches rassemblaient des musiciens, mathématiciens et slavistes. C’est toute cette aventure, où l’expérience langagière « repoussait les limites de la nomination », où le politique était le fer de lance du littéraire, où la vigueur polémique tenait débat que retrace Faire part sous le titre : « Ce que Change a fait ».
Jean-Pierre Faye et Maurice Roche créent le collectif Change, après avoir quitté « la petite geôle telquélienne », en compagnie de Jacques Roubaud. Le projet est de proposer une alternative au structuralisme. « Changer les montagnes de la société passe par l’exploration de tous les niveaux, et l’expérience de toutes les démolitions. Et surtout, par la fiction même : par le danger et la virulence de l’invention. » (J.-P. Faye) Adepte d’une théorie générale des transformations, Change en appelle à « de nouvelles lois du langage ». Les sommaires accueilleront les signatures de Chomsky, Jabès, Perec, Octavio Paz, Kateb Yacine, Jerome Rothenberg… Manifestaires, les numéros sont conçus comme « une chaîne de pensée » internationale, où se lient politique et poétique. Ils questionneront le terrorisme, la traduction, la linguistique, la répression psychiatrique, la critique, les luttes en Amérique latine, ouvriront leurs colonnes à la poésie de Guennadi Aïgui ou d’Unrike Meinhof. Rejetant le romanesque, Change (qui devait s’appeler Monstre) promeut la « Narration nouvelle » (ou l’épique abstrait), c’est-à-dire « l’action du récit sur le récit ». « Peut-être étions-nous allés trop loin », explique Jean-Claude Montel. Change, qui avait réuni 4000 lecteurs à sa création, devient fin 70 une avant-garde sans lecteur. « Nous étions perçus de l’extérieur comme les représentants d’un modèle ancien fondé sur l’idée que la pensée de la politique et le marxisme étaient toujours vivaces ».
Sans nostalgie, le témoignage de ses protagonistes (écrivains, artistes) rend ici hommage à cette matière vivante, autant « gisement d’énergie intellectuelle » que « fertile terrain d’écriture ». Les traces d’une utopie. C’était une autre époque.
P. S.
Faire part N°16/17 178 pages, 20 €
8, chemin des Teinturiers 07160 Le Cheylard