La poésie de Stéphane Bouquet est troublante. C’est ce qu’il faudrait d’abord dire avant d’énumérer les raisons de ce trouble. Ou plutôt avant de saisir la complexité de ce trouble et, par conséquence, tout l’étagement de sensations que ses poèmes nous donnent, à nous, lecteurs. Stéphane Bouquet dit les événements les plus ordinaires d’une vie, tous les désirs qui en naissent aussi, sans détour et sans honte, juste à la hauteur de ce que le désir réclame et exige lorsqu’il est à la hauteur de sa propre dynamique. Soit une liberté, son expérience cruciale, d’être pris dans la vitesse sidérante des signes que font, par exemple, les êtres lorsqu’ils passent devant nous, ou bien lorsqu’ils sont saisis par la discrète immobilité d’un carrefour, juste avant que le feu vert ne libère tout un flux de voitures, tout un fond de bruit assourdissant.
Et ce sera alors encore le désir reconvoqué dans son incessante mutabilité, sa fluidité et son hardiesse à ouvrir du présent sur le présent, qui revient et retourne la peau du poème. La plisse et la tend vers l’autre, comme une main vers le frère, ici, devenu un mot jeté en travers pour clarifier le rapport que nous pouvons encore penser avec lui, imaginer, souhaiter. Cette utopie appelle un pouvoir de la parole. Et quand celui-ci respecte la mélancolie, le regret, la perte, il appelle alors une autre vitalité, la grande santé où s’efface le ressentiment. La poésie de Stéphane Bouquet, et son Mot frère avec, réussit alors ce pari magnifique de faire passer la pointe de la vie dans le poème. Lui inventant une autre peau.
Sur la couverture de votre premier livre, Dans l’année de cet âge, est précisé « 108 poèmes pour & les proses afférentes ». À qui est destiné ce « poèmes pour » ? Et que cherchiez-vous en proposant une version en prose de chacun des poèmes ?
Poèmes pour, c’était une façon de dire que chaque poème s’écrivait vers quelque chose ou vers quelqu’un. Ils avaient un but (par exemple se souvenir) ou une direction, une adresse, et parfois les deux. Je me suis rendu compte depuis qu’écrire pour moi, ça voulait dire se tendre vers un dehors, tenter de rejoindre, essayer d’appartenir. Le langage n’est que l’instrument de cet effort, il m’importe surtout parce qu’il réunit deux ou trois ou x choses qui étaient auparavant séparées. L’autre chose, c’est qu’il y a le mot « poème » dans poème pour. Or la tentative de mon premier livre, c’était aussi de me demander, sans doute parce que j’ai longtemps écrit de la prose vaguement romanesque avant de comprendre que le poème était une bonne forme pour moi : où ça commence exactement la poésie ?
Il y a sur cette couverture une photographie de piscine en extérieur. Elle a un lien avec ces poèmes où vous exposez, parfois très crûment, votre désir pour les hommes. Comment définir ce lien ?
Bon, cette photo, elle exprime le désir c’est sûr, mais elle exprime le désir comme distance. Les gens sont là, mais ils sont là-bas....
Entretiens Aux coins du désir
avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62
| par
Emmanuel Laugier
Avec « Le Mot frère », son troisième livre de poésie, Stéphane Bouquet cherche à saisir les séquences vives, rapides par où un monde existe, pour nous, pour notre joie d’y habiter, d’y circuler malgré tout.
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