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Poches Plaies vives

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Thierry Cecille

Romancier de la sensation, de la trace et de l’absence, Appelfeld ressuscite deux destins d’enfants, aux sombres temps de la Shoah.

Récemment révélé, à ceux qui l’ignoraient encore, par l’attribution du prix Médicis étranger à son Histoire d’une vie, autobiographie fragmentée, l’Israélien Aharon Appelfeld, né à Czernowitz en Bucovine, à quelques rues de Paul Celan, en 1932, fut publié en France dès les années 80 par Belfond. Si l’on peut regretter que les éclairantes préfaces de ces éditions d’alors n’aient pas été reprises ici, on doit se réjouir de cette double publication qui nous permet en effet car il faut lire ces deux romans l’un après l’autre ou l’un avec l’autre, l’un en miroir de l’autre de découvrir avec émerveillement et gratitude la gamme subtile et riche dont sait user Appelfeld. Si l’épure, quelque peu symbolique voire mythique, de Tsili, racontant l’errance d’une enfant abandonnée à travers les forêts d’un Est indéterminé, entre l’hiver 41 et l’été 45, peut être rapprochée du terrible Oiseau bariolé de Kosinski et, par certains aspects du moins, du roman de Primo Levi Maintenant ou jamais, Le Temps des prodiges, retraçant la trajectoire d’un enfant juif autrichien, fils d’un écrivain reconnu, mêle la troublante précision de Kafka à des tonalités proustiennes.
Bien sûr ces deux destins auront à connaître cette même épreuve : la Shoah mais chacun la subira à sa manière, parallèle et complémentaire. L’univers de Tsili est celui du yiddishland, du shtet’l de Pologne ou d’Ukraine : paysans rustres et prostituées accueillantes, villages boueux, nature présente et hostile le plus souvent. Bien qu’il s’agisse d’un récit à la troisième personne, nous ne quitterons pas le point de vue de Tsili, créature au sens biblique et physiologique jetée dans le vide de l’abandon, du délaissement, dès la première page. Sa seule force, paradoxale et énigmatique, viendra de sa faiblesse et de son « esprit borné » : alors que, croit-on deviner, sa famille entière périt, Tsili atteindra les rives du nouvel État d’Israël. Nous ne pénétrons guère ses pensées, car toute sa vie « semblait s’écouler hors d’elle » : presque privée de mots « tsili », en hébreu, signifie « le son » elle est avant tout gestes, sensations, frayeurs et espoirs comme instinctifs. Autour d’elle et sur elle passent les saisons : elle mûrit en même temps qu’elle survit.
Le dispositif romanesque du Temps des prodiges est plus complexe : à une première partie où le héros adolescent tente de percer ce monde mystérieux et inquiétant qui l’entoure, succède une seconde, « quand tout fut accompli des années plus tard », dans laquelle un narrateur omniscient prend le relais pour décrire le désolant retour de l’enfant devenu adulte, désormais installé à Jérusalem. Comme le héros, nous sommes tout d’abord, dans la première partie, confrontés à des indices troublants que l’on pressent comme annonciateurs mais de quoi ? de quels prodiges ou de quelles catastrophes ? de quel « déclin muet » de tous et de tout ? Les trains de nuit, les valises faites à la hâte et qui encombrent, les rencontres de hasard, les conversations surprises, les « esprits malfaisants » des sombres pièces de la demeure familiale ou les « sombres semences » de la puberté le bouleversent bien plus que les « signes inquiétants » de la persécution qui s’annonce peut-être parce que son père, ami de Zweig et juif totalement assimilé, ou se pensant tel, méprisant lui-même le « tapage juif », résistera jusqu’à la fin à cette désillusion tragique. « Quand tout fut accompli », dans l’Autriche qu’il retrouve, le terne quotidien provincial semble avoir tout recouvert : les habitants, qui assistèrent en silence à la « grande rafle », « n’ont pas l’air d’assassins », mais il devine sous la surface la « froide réalité, claire, tranchante » car les « souvenirs oubliés » lui reviennent comme des « sentiments frémissants ». Ce monde le renie, à nouveau se refuse à lui, il ne lui reste plus qu’à repartir : tout, pour finir, devra « redevenir un mystère pour lui ».

Aharon Appelfeld
Tsili
et Le Temps
des prodiges

Traduits de l’hébreu
par Arlette Pierrot
Points Seuil
158 et 239 pages,
5,50 et 6

Plaies vives Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
LMDA papier n°59
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