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Poésie Pas vu pas pris

novembre 2004 | Le Matricule des Anges n°58 | par Xavier Person

Les poèmes de Jean-Marc Baillieu jettent de la poudre aux yeux : regardez, il n’y a rien à voir !

Au discours, substituons franchement et hardiment la liste. La liste expose les faits sous une forme brève et commode, claire et frappante », cette citation de Valéry Larbaud que vous inscriviez au dos de Poudre de riz sonore (Le bleu du ciel, 2001), permettez, cher Jean-Marc Baillieu, qu’avec hardiesse et franchise je l’applique à Gu Wei Jin Yong. Que mon discours, je l’égrène en poudre de riz, que je liste les faits. Le poème, dans ce livre, le plus souvent cite quelques bribes de ce qu’on suppose le commentaire d’une supposée estampe japonaise ou chinoise, il nous décrit ce qu’il ne représente pas, nous montre ce qu’il ne nous montre pas, nous éloigne de ce dont il nous rapproche, nous livre le détail d’un tout dont la partie ne renvoie qu’à elle-même, nous dépeint ce dont nous ne voyons pas la peinture, ou ne nous montre que la peinture, le coup de pinceau, au lieu de ce qui est peint, nous rapproche de ce que nous ne distinguons pas pour autant, nous suspend à son dire, nous donne à lire des phrases à la place de ce qu’il y aurait à voir, laisse à la place de l’image attendue un espace vacant entre les phrases, nous désigne ce qui manque, s’arrange avec ce manque, n’en fait pas tout un drame, au contraire, nous décrit quelque chose, nous pouvons deviner qu’il s’agit du motif d’une peinture, mais cette peinture existe-t-elle vraiment, est-elle réellement visible quelque part, de cette peinture nous décrit un détail mais pour rien, pour ce détail rendu flottant, rend les choses flottantes, nous rend flottants loin des choses, nous promène un peu aveugles dans un musée improbable, nous aveugle mais en douceur, ne nous donnant à voir d’une estampe que sa description lacunaire, pointant la didascalie comme drame véritable, la donnant à lire comme telle, comme si ce qui importait au fond résidait dans les marges, à côté du tableau, sur le côté de la scène, en cette description de ce qui a lieu, qui ne raconte rien, en soi, juste les modalités d’une représentation, un peu comme je pourrais, ici, cher Jean-Marc, me trouver à parler d’un livre que vous n’auriez pas écrit, un peu comme si, là, je me mettais à vous raconter l’un de mes rêves que, vous auriez beau faire, vous ne pourriez pas faire à ma place, qui pour vous n’existerait pas plus que ce que vous nous décrivez dans ce livre, en ces fragments épars qui dérivent comme passent les rêves, nous échappent sitôt que lus, glissent, s’effacent, coulent comme l’eau d’une rivière au pied du Mont Fuji dont Jacques Roubaud dans Churchill 51 (Gallimard, 2004) nous avait déjà dit qu’il n’existait pas, apercevant juste, par exemple, le vol d’une grue, un dragon sortant des flots, un couple de hérons dans un marais, une cigogne sous un pin, un dragon en relief, une guenon épouillant son petit, un lièvre sous un croissant de lune, un shoku guettant des oies, un héron marchant dans les herbes au soleil, une libellule aux yeux dorés, un tigre dans les bambous, etc., en une liste donc, suite d’énoncés déconnectés qui contreviennent à tout discours, le pulvérisent en grains de riz sonores, sans objet, ni sujet, simples mots légers comme grains de riz jetés dans l’air, juste pour la beauté du geste, tel le geste d’un peintre dont nous ne saurions pas ce qu’il peint, comme si écrire, comme agir, ne devait atteindre qu’au non-écrire : ne pas écrire en écrivant, juste recopier les commentaires d’une peinture, recopier quelques mots, les poser, regarder les mots comme on pourrait voir une peinture qui, comme le dit Michel Foucault des Ménines de Velasquez, « ne fait rien voir de ce que le tableau lui-même représente », comme si les mots, semblables alors à quelque ready-made, ne représentaient plus qu’eux-mêmes, c’est-à-dire rien, je veux dire une chose, un mot pour une chose, un mot qui à la place d’une chose serait une chose, que nous ne saurions pas vraiment lire, que nous lirions comme si nous lisions du chinois, comme si ce livre en français nous le lisions en chinois, illisible, indéchiffrable et cependant très lisible, nous apercevant peu à peu que nous sommes chinois, découvrant que les mots font d’étranges tableaux sous nos yeux, à la lecture de ce livre dont nous nous prenons à rêver en chinois les images.
Gu Wei Jin Yong (Le passé sert le présent) de Jean-Marc Baillieu, Le bleu du ciel, 92 pages, 14

Pas vu pas pris Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°58 , novembre 2004.
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