D’attente et de désillusion, de pauvres espoirs et de désarrois tenaces, de visages entrevus et enfuis sont tissées certaines vies. Gisèle Fournier en fait un récit à la française : sans la dimension plurielle (qui peut n’être que boursouflure) du roman, mais avec l’élégance d’une construction plus légère qui instille, peu à peu, la grâce magique d’une révélation. Comme dans Mentir vrai (voir Lmda N°44) que rappelle ici l’épigraphe de Pinget : « Jamais personne ne pourra dire que je n’ai pas dit la vérité », elle veut atteindre, à pas mesurés, le secret de vies minuscules, hésitantes, entre la tentation du retrait définitif et celle du saccage. Une femme inconnue, différente, apparaît et s’installe, au cœur de l’hiver, sur les hauteurs d’un causse enneigé, « à l’écart de tout, où seuls demeuraient ceux qui ne pouvaient aller ailleurs ou qui, pour une raison peut-être ignorée d’eux-mêmes, restaient attachés à ce pays ». Autour d’elle quelques hommes s’agitent, quelques femmes peut-être la jalousent, la rumeur court et dissimule, plus qu’elle ne les révèle, les non-dits. Puis elle disparaît, dans la lumière et la touffeur de l’été : est-elle repartie sans prévenir ? A-t-elle été victime d’un accident, d’un crime ? En vérité le mystère naît ici de l’absence de tout mystère et, surtout, de ce que les hommes s’effacent derrière la force éclatante de la nature. Nommés avec précision et décrits avec une attention presque pieuse, cette sorte de ferveur païenne et pourtant retenue que l’on trouve chez Giono, la terre, les arbres, les fleurs, les insectes et même les pierres vibrent d’une vie propre, plus pleine que celle des humains, en proie au doute et à l’appel trahi ou vain du désir.
Perturbations de Gisèle Fournier
Mercure de France, 114 pages, 12,50 €
Domaine français Hautes solitudes
septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56
| par
Thierry Cecille
Un livre
Hautes solitudes
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°56
, septembre 2004.