Au modèle du roman de formation, Wilhelm Genazino oppose un récit ténu : « cet épisode fantomatique qu’était mon apprentissage ». En apparence, le narrateur, à 17 ans, est un raté. Renvoyé du lycée et pressé par sa mère de trouver une place d’apprenti, il échoue dans une entreprise de transport. Mais une autre ambition le taraude. Il se rêve en grand écrivain. Un appartement à soi, une femme à soi, un roman à soi, voilà, paraphrasant le titre de Virginia Woolf, l’ordre des projets du garçon. Seuls ses talents de rédacteur sont couronnés de succès, puisque journaliste d’occasion pour les vacances, il se voit confier des reportages qui le mettent en contact avec les petits événements, les sommités de la ville. Et avec une journaliste un peu vénéneuse dont il pourrait tomber amoureux. Cette « double vie » sera le déclencheur et le sujet de ce roman, autobiographique, comme il se doit. Hors le parcours du narrateur, c’est à travers son activité de journaliste, la satire en demi-teinte des types humains et des mœurs qui fait l’intérêt de ce livre : les « niaises pensées étaient percées à jour avant d’avoir été pensées » médite-t-il lors d’un entretien avec un retraité auteur d’une tour Eiffel en allumettes. Chacun est dévoilé, dans ses médiocrités, ses compromissions, comme ces gens que poussent à s’exhiber les numéros d’amateurs d’une brasserie. Hélas le journal n’a pas à « communiquer la vérité aux gens » et « ceux qui travaillaient ici souffraient plus ou moins d’une infamie avouée ». Sortir de ces infamies grâce à la littérature n’est pas le moindre projet de l’apprenti écrivain.
Un appartement, une femme, un roman
de Wilhelm Genazino
Traduit de l’allemand par Anne Weber
Christian Bourgois, 182 pages, 18 €
Domaine étranger Petits secrets de l’ordinaire
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Petits secrets de l’ordinaire
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°52
, avril 2004.