Tellement pris par la fringale des voyages, nous devenons, tous, le touriste de l’autre. Les premiers lieux à fuir sont les endroits où nous vivons, et l’on préfère une promiscuité d’ailleurs à nos espaces policés. Lubies des riches, d’occidentaux nantis. Les neuf carnets qui composent ce livre nous détaillent les déboires, les surprises, les angoisses de deux Européens qui s’enfoncent dans le continent noir. La feuille de route prévoyait un documentaire sur la médecine traditionnelle des Dogons mais en Afrique, plus qu’ailleurs, les voies toutes tracées bifurquent facilement vers les chemins de traverse. Ainsi ce projet changera maintes fois dans une tentative de surmonter les échecs successifs. Mais c’est justement l’étiolement des projets qui laissera la place à une vision de l’Afrique dans toute sa réalité, au-delà de l’écran protecteur du tourisme.
Pour mieux saisir sur le vif le va-et-vient entre sa propre spécificité et l’originalité de l’autre, Gianni Celati fait le pari du mouvement plus que de la description : « je voudrais suivre chaque moment en prenant des notes, écrire tout ce que je peux, mais le rythme vaut mieux que tous les concepts pour attraper le monde ». Sa lucidité franche, et parfois cruelle, ne cède jamais au foisonnement des images. Continuellement alléché par des matrones aux boubous bigarrés et à l’allure princière, qui parfois lui font du gringue, harcelé par des bandes de gamins, ballotté dans des trains et autobus rafistolés ou en arrêt devant des paysages inouïs il ne tombe jamais dans un tourisme de bon aloi. Celati ne fait pas de l’aquarelle lyrique, bien au contraire, son style est tranchant, rapide et roboratif. Puisque il ne tombe pas dans un exotisme benêt l’auteur n’est pas tendre avec les Africains tout en remettant à leur place les Blancs. Son regard se pose sans cesse sur la vie dans les rues, sur les manèges minables ou comiques des prostituées, des guides, de tous ceux qui ont des contacts avec les touristes, et le lecteur est toujours propulsé dans un monde où le rapport avec l’étranger est, essentiellement, une forme de commerce. En effet l’auteur décoche des considérations acérées qui remettent en cause les fondements même de l’identité occidentale. Les hauteurs de Bandiagara, le Mali, le Sénégal, la route pour Tombouctou, la Mauritanie, etc. n’empêchent pas l’écrivain de remarquer néanmoins ces « jeunes rasés comme les gars du ghetto américain », « les différents types de tourisme africain », de se demander si les Africains « croiront-ils en la privacy, aux vacances, aux projets, à la tête projetée dans l’avenir et jamais dans le présent ? » si, enfin, eux aussi tomberont dans le piège des Blancs qui, lorsqu’ils se croisent, s’évitent soigneusement comme si chacun renvoyait à l’autre l’image de tous les méfaits de l’Occident.
Dans ce récit assez picaresque on dirait finalement que les touristes sont en voyage comme on est en cavale, tellement ils se trouvent assiégés, traqués « comme des vaches à lait », tellement l’aura d’un tenace sens de culpabilité les accompagne dans le vacarme du monde africain. Mais tout nous est livré avec une sorte d’affection. Tout baigne dans le détachement bienveillant de celui qui en a vu d’autres… Celati a su garder, ou trouver, une fraîcheur de conteur vif, alerte. L’écriture de ces carnets au jour le jour dessine une philosophie du voyage où l’on voit, encore une fois, que le plus important est le chemin lui-même et non la destination ; seule et unique manière d’affronter la route.
Aventures en Afrique
Gianni Celati
Traduit de l’italien par Pascaline Nicou
Le Serpent à plumes
287 pages, 7,50 €
Poches Carnets déroutes
octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47
| par
Giovanni Angelini
Il y a deux façons de voyager : l’exotisme facile ou la reconnaissance du divers. Gianni Celati aborde l’Afrique en chroniqueur éclairé.
Un livre
Carnets déroutes
Par
Giovanni Angelini
Le Matricule des Anges n°47
, octobre 2003.