Dans la neige mêlée de sang, piétinant les cadavres des exécutés, étouffant dans la moiteur des bureaux, nous voici projetés aux côtés d’un responsable de la police politique soviétique, à la fin de la guerre civile.
La chute du communisme permit, en URSS, non seulement l’ouverture des archives aux historiens, mais également la redécouverte d’écrivains plongés dans un Purgatoire qu’ils ne devaient qu’à leur non-conformisme politique -compte non tenu des qualités littéraires de leurs œuvres. Zazoubrine est de ceux-là : il fallut attendre 1990 pour que paraisse la première édition française -cette réédition s’imposait. La puissance stupéfiante de ces visions -la besogne quotidienne du Tchékiste Sroubov et de ses subalternes, arrestations, interrogatoires et exécutions le plus souvent collectives- s’accompagne -ce qui n’allait pas de soi- d’une précision d’analyse qui rend passionnantes les interrogations -politiques, morales et métaphysiques- du communiste qu’il demeure envers et contre tout, malgré les assauts du doute, les peurs et les dégoûts, les approches de la folie. L’écriture, pour le suivre, se risque constamment : métaphores expressionnistes et allégories dignes de Hugo -celui de Quatre-vingt-treize bien sûr- personnification permanente de la Révolution -fiancée désirée ou féroce marâtre- bribes de monologue intérieur, onirisme et martyrologe. C’est que la mort -plus encore que l’idéal communiste- la mort que l’on inflige et celle que l’on risque, est ici un alcool fort, dont on s’enivre sans mesure, jusqu’aux hallucinations, avant les vomissements du remords et l’abrutissement final de la conscience.
Lénine déclare « c’est un livre terrible, un livre nécessaire », on l’étouffe donc -et Zazoubrine mourra en 1938, pendant la Grande Terreur stalinienne, sans doute assassiné. Il nous faut donc le lire aujourd’hui, c’est encore -et plus que jamais ?- « un livre nécessaire ».
Le Tchékiste
Vladimir Zazoubrine
Traduit du russe par
Wladimir Berelowitch
Christian Bourgois
155 pages, 14 €
Domaine étranger Goya en Sibérie
mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43
| par
Thierry Cecille
Un livre
Goya en Sibérie
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°43
, mars 2003.