Ce matin-là, impatient mais inquiet, on se résigna à subir l’épreuve de physionomie à ciel ouvert proposée la veille par Franz Bartelt. « Vous me reconnaîtrez facilement, je suis l’homme qui a l’air idiot… Et si ça ne suffit pas, imaginez le seul type qui pourrait porter des bottes de caoutchouc ! » En l’absence de bottes, et de cette bouffarde qu’il avouera plus tard délaisser lors de ses échappées parisiennes, on se recommanda au hasard avant d’aborder l’unique locataire d’une terrasse inhabitée. Le hasard, en provenance de Nouzonville, à quelques kilomètres de Charleville-Mézières, avait placé Franz Bartelt devant un café. Quelques minutes plus tard, l’Ardennais inspecta en souriant la table encombrée d’un ramassis de notes suggérant le péril d’un infaillible interrogatoire. J’ai été journaliste épisodique à L’Ardennais1, le quotidien régional de ma région. Je ne prenais jamais de notes… j’inventais tout ! Honteux, on remballa ses devinettes inspirées par la lecture de Nulle part, mais en Irlande, un savoureux journal rédigé lors de la découverte poétique et burlesque d’un pays où les muses se désaltèrent dans les pubs : Au bar, un Samuel Beckett, trop rose de figure pour avoir jamais écrit une ligne, discutaillait avec un Yeats de vingt-cinq ans. On discutailla donc, la conversation ignorant les cadences de l’entretien pour souscrire à l’allure spontanée de la randonnée littéraire.
Des Andelys (Eure), où Franz Bartelt naquit en octobre 1949, à ces Ardennes hantées par les illuminations de Rimbaud - On croit les Ardennais taciturnes alors qu’ils sont hâbleurs et méridionaux ! -, Franz Bartelt se fit l’hôte accueillant d’une contrée où il ferait bon déménager son admiration pour les livres et les écrivains de caractère. « Homme des frontières », fils d’un Allemand et d’une Française, marié à une Italienne, Franz Bartelt multiplie les passeports littéraires, mais sans les confondre avec des passe-droits. « Je suis conscient que la vanité est à la base de la littérature. Ma seule ambition est d’écrire de bons livres. Le reste n’est que discours. Les vrais beaux métiers, c’est couvreur, plombier… Dans ces métiers-là, on connaît le poids du monde. Le meilleur moyen pour écrire, c’est de trier des patates ! » Poète, dramaturge, romancier et nouvelliste, le lauréat du prix de l’humour noir du festival de Cognac pour Les Bottes rouges (Gallimard, 2000) est de ces stylistes talentueux qui vous confectionnent en toute modestie des ouvrages épatants et redoutables. Et ces livres-là pèsent le poids d’un homme.
Journal de voyage d’un guetteur sans impatience, Nulle part, mais en Irlande retrace une traversée de l’Irlande, abordée le plus souvent à vélo. Était-ce une fantaisie de vacancier, piégé par le déroulant touristique du pays, ou une quête d’écrivain voyageur, envoûté par l’Irlande mythique de Joyce et de Beckett ?
C’est le livre d’un touriste naïf qui se demande, aujourd’hui encore, quel mirage il poursuivait en...
Entretiens Le chroniqueur fabuleux
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Pascal Paillardet
Fasciné par Dhôtel, les Ardennes et les fous littéraires, Franz Bartelt publie son journal de voyage. Une traversée irlandaise et touristique qui cède avec drôlerie aux impertinentes approches du vagabondage poétique.
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