À « celui qui décidément ne prend pas racine », au poète en exil permanent qu’est Abdellatif Laâbi, Françoise Ascal a demandé de livrer les objets qui composent son espace intérieur. La demande est belle, émouvante ; elle répond au don permanent qu’est l’oeuvre du Marocain.
Elle donnera naissance, surtout, à un livre magnifique rehaussé des dessins d’Abdallah Sadouk.
Laâbi y a répondu en choisissant des objets souvent modestes, détenteurs d’une mémoire familiale, d’une douleur parfois, d’une humilité toujours. Le choix fait, Abdallah Sadouk est venu chez le poète dessiner entre autres, une chaise de circoncis « Acquise/ plutôt cédée à dix dirhams/ avant l’arrivée/ du marché de l’art », une table syrienne, un encrier, une table carrée aux tiroirs secrets : « Dans les années noires/ elle a celé/ des documents compromettants » mais aujourd’hui elle ne sert qu’à ranger les objets usuels et « Elle doit vivre cela/ comme une déchéance ». Les dessins donnent une épaisseur floue aux objets, comme s’ils venaient apparaître à peine à la surface de la mémoire. Abdellatif Laâbi a proposé également des peintures et des oeuvres d’amis artistes, reproduits ici par le biais des photos de Laydi Maroufi. Ce que l’on voit alors est invisible : il s’agit d’histoires d’amitié, de respect qui viennent tisser souvent l’Histoire douloureuse du siècle. Deux photos bouleversent particulièrement : celle de la mère d’abord, au regard retenu de colère, celle du père, ensuite, concentré sur sa dignité. Elles bouleversent d’autant plus que chaque objet, chaque tableau et chaque photo sont commentés, en vers, par le poète. Et ce qu’il dit de la mère, associé à son regard perdu, fait lever, bien plus qu’une histoire personnelle, l’histoire de tout un peuple. Sans quitter pour autant l’intimité de la confidence.
Par son humour, posé délicatement sur des blessures ou de la colère, Laâbi a l’extrême élégance de ne pas faire de nous des voyeurs. Il s’agit ici de partage et le livre, d’une qualité rare, dit bien à quelle hauteur de sentiment se fait celui-ci. L’Autre fait notre richesse.
Petit Musée portatif
Abdellatif LaÂbi
Al Manar
67 pages, 21,50 euros
Poésie L’hôte généreux
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Thierry Guichard
Un livre
L’hôte généreux
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.