Pourquoi l’homme est-il maudit ? Du fait de son humanité même, par tout ce qu’elle trimballe d’à-peu-près, de désirs inassouvis, de velléités, de trahison, de cruauté et d’inadaptation. Voilà ce que nous assènent, péremptoires, les sept nouvelles bilingues de Marcu Biancarelli. Trois d’entre elles évoquent l’horreur de la guerre et le problème de la responsabilité ; deux, l’enfermement, la torture ; une, le suicide de Stefan Zweig, alors qu’une autre à l’humour noir des plus sarcastiques semble exécuter un magistral bras d’honneur aux coutumes et traditions ancestrales. Éponyme, la première exhume du catalogue des martyrs et saints chrétiens, la figure de Saint Jean et l’installe sur l’île de Patmos d’où selon la tradition, il aurait écrit l’Apocalypse dans laquelle il demande justice à Dieu. Apocalypse signifiant révélation de ce qui était caché, Biancarelli nous donne un avant-goût de l’enfer en transformant l’île en camp de concentration où Jean après avoir survécu au bain d’huile bouillante - « Il puait bien sûr plus que les autres, il n’était que pus, odeur mêlée de vieillesse et de roussi, bubon suppurant des pieds à la tête, mais vivant, ici, et à l’ombre qui plus est. » - attire l’attention d’un légionnaire. Deux solitudes ainsi semblent se rapprocher. Suivant la théorie du maître et de l’esclave, le légionnaire éprouve une fascination grandissante pour le prisonnier, toutefois de l’ennui dans lequel il végétait, il passe à un désespoir mâtiné de dégoût de lui-même, des siens, voire de la race humaine. Saint Jean repart, le légionnaire demeure.
La plupart des nouvelles laissent un goût d’inachevé, portent en elles quelque chose d’étrangement bancal qui fait leur force. Dans Pérégrinations à Rocca Patima, Biancarelli retrace l’excursion d’un couple en désamour vers un village corse reculé. L’ambiance est pesante, la colère gronde, Stephen King est évoqué. Le couple est recueilli par des indigènes dont la monstruosité et la démence feraient vite oublier les images convenues d’hospitalité, de convivialité, de couleur locale, voire d’hymne au terroir et à la tradition, terreau de bon nombre de littératures. De quoi faire rire jaune le plus modéré des nationalistes ! Si dans cette nouvelle, les conventions sont prises à rebours, dans les autres, l’originalité, la gravité des sujets, la manière de les présenter insufflent une expression neuve, personnelle des plus intéressantes. Biancarelli ne s’encombre pas de pathos, son écriture relativement simple, vive, crue met à nu l’horreur, les vides de l’âme avec une facilité déconcertante. Si çà et là, l’humour noir, des bribes de cynisme émaillent le récit, ils témoignent toujours d’une lucidité remarquable. Marcu Biancarelli, professeur de corse, originaire du sud de l’île, a déjà publié deux ouvrages : un recueil de poèmes Viaghju in Vivaldia (Le Signet, 1999) et un recueil de quatorze nouvelles Prisonnier (1)(Albiana, 2000). « Si c’est pour finir comme Nordine il vaut mieux mourir. Mais je vais rêver. Tant que je suis vivant je vais rêver. Je suis un oiseau stupide qui chante et fait pioupiou… »
Saint Jean à Patmos
Marcu Biancarelli
Traduit du corse par l’auteur, Jérôme Ferrari et Didier Rey
Albania
100 pages, 18,29 € (120 FF)
(1). Prix du Livre insulaire (catégorie fiction) en 2001, ce recueil a troublé le microcosme littéraire corse lors de sa parution. Pêle-mêle, on a reproché à l’auteur la crudité de sa langue, ses attaques contre la société locale, et d’avoir publié en édition bilingue.
Domaine français Universalité du noir
décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37
| par
Dominique Aussenac
L’écrivain corse Marcu Biancarelli publie un deuxième recueil de nouvelles dont la lucidité et la gravité révèlent avec force l’horreur et les misères de l’homme.
Un livre
Universalité du noir
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°37
, décembre 2001.