Le narrateur est si fatigué d’être vieux qu’il est peut-être déjà mort. Ses souvenirs portent des noms féminins, se conjuguent au temps de la nostalgie et prennent le goût de l’amertume. En trois mouvements, Ange Vincent, ancien boxeur, ancien voyou, tente de renouer les bouts de fil éméché de son passé. Et d’y retrouver l’amour qui fait défaut à sa solitude. L’éditeur appelle ça un roman, mais c’est du Pirotte. Un vieux millésime inédit sorti de la cave du Belge errant. Un dialogue avec les morts -plus souvent des mortes-, silhouettes aimées ou rêvées, images floues d’un bonheur évité. La narration trébuche sans cesse entre affabulation et confession, silence et musique lexicale. Elle ne fait que circonscrire un vide : la mort où s’abîmeront épistolaire et destinataires. Cette sonate, Pirotte l’écrit avec des accents mineurs plaqués sur des cordes grinçantes : on y entend une vraie douleur, une rage qui semble le fruit blet de l’amour. Aussi le bonhomme triche-t-il : il détourne sans cesse le cours de sa plume, il fuit la nudité qu’elle révélerait. On voit ses tours de passe-passe dans les paradoxes qu’il ouvre comme des chausse-trapes : « Le café refroidissait avant d’être servi. Ma mère consommait du thé jaunâtre, où le sucre en poudre n’arrivait pas à fondre. (…) Les pensionnaires échangeaient de si rares paroles que dans les intervalles ils vieillissaient considérablement. Peut-être ce furent mes plus belles vacances. »
La mémoire s’effiloche et le livre s’écrit comme une déroute : la vérité reste introuvable. À moins qu’elle ne soit un peu dans les livres qu’évoque l’écrivain qui aurait pu être Dhôtel si Dhôtel n’avait pas déjà vécu. À moins qu’elle ne se trouve dans les paysages, que Pirotte, en « peintre du samedi et écrivain du dimanche » excelle à faire trembler sous le soleil, luire sous la pluie. Les plus belles phrases sont pour eux. On regrette que le boxeur raccroche si vite les gants. Mais peut-il monter sur un ring celui qui a choisi d’habiter l’exil ?
Ange Vincent
Jean-Claude Pirotte
La Table ronde
127 pages, 75 FF (12,04 €)
Domaine français Sonate de bars perdus
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Thierry Guichard
Un livre
Sonate de bars perdus
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.