Sexe moderne, sexe modem. Séduction à l’aveugle, soumise aux restrictions de l’abonnement forfaitaire et de la tarification téléphonique, mais aussi promesse d’un érotisme audacieux, débridé, attisé par l’anonymat des amants dispersés sur la Toile. À quarante-cinq ans, mère divorcée restée « pauvre et frigide à mettre « Brise Verte » de Balmain », Anne décide d’abattre ses atouts trop longtemps gaspillés. La fréquentation du Minitel d’abord, puis d’Internet, la soustrait à une solitude jamais comblée depuis sa rupture avec Marc. Le Réseau la délivre des remords de sa féminité corsetée ; épouse trop honnête et convenable, habituée à partager son ennui nocturne avec un pyjama à rayures, elle se pare des vertus de la pécheresse insatiable. « Petite, brune, charnue, peau mate, yeux verts », Anne devient une chasseresse en errance. Une enragée, affamée de chair, assoiffée de sperme.
Perdue dans les reliefs de cette carte graphique du Tendre, en quête du « Paradis liquide », elle harponne des proies qui s’exhibent en prénoms numérotés -Victor 25, Sylvain 177, Christian 191- bientôt remplacés par des pseudonymes suggestifs : Tortue 8, Puma 2, Marsupilami 7. Consciente de n’étreindre que des ombres d’hommes, même après la rencontre et la confirmation des corps, Anne se méfie rapidement du mensonge des mots-hameçons jetés à travers la nuit. Ce désir à portée de clavier n’est qu’un dérisoire placebo sentimental. Ces « intimes connexions » condamnent le braconnier du Réseau au deuil de l’amour, à l’apprentissage du divertissement et de la jouissance égoïste.
Les mots sont au coeur de cette quête éperdue. Les mots rarement osés, ces mots de libertinage, bannis des conversations tempérées lorsqu’ils dispensent rougeurs et ricanements, mais qui demeurent le prélude obligé de l’accomplissement d’une séduction à distance. Sur l’écran de l’ordinateur, les mots « avaient non seulement leur texture, proche de l’organisme vivant, mais aussi leur couleur, leur saveur, leur scintillement propre », écrit Catherine Clémenson, auteur d’un premier roman intime et sensuel, épargné par la perversité facile et les oeillades qui aguichent le chaland. Intime connexion n’est pas la chronique d’une gymnastique corporelle, ni une mise à nu cautionnée par des prétentions artistiques. Ce roman qui se donne sans fard est le récit limpide d’une recherche de soi. À l’unisson de son héroïne, habile à soudoyer le désir par quelques phrases sibyllines, Catherine Clémenson cède avec ferveur à la tentation verbale. Avec parfois la maladresse d’une excitation adolescente (« La tumescence d’un sexe d’homme contre ma mouillure de femme »), le plus souvent avec la sensibilité et l’écoute de la confidente.
À travers ce portrait de femme, adepte du zappage charnel, Catherine Clémenson, enseignante dans un lycée de l’ouest parisien, dénonce les amours brimées, apprivoisées, altérées. Elle s’attarde auprès des âmes en transit réfugiées dans le virtuel. Pour la plupart, précise la narratrice, des mâles esseulés soucieux de s’inventer temporairement des destins de rechange. « Ils avaient aimé une femme, une jeune fille, ils allaient bientôt se réconcilier avec elle, en aimer une autre, une amie de leur soeur, leur secrétaire, leur voisine de palier, mais celles qu’ils rencontraient ici, entre des lignes de télécom, c’était juste l’entre-deux ». Entre deux solitudes, entre deux infirmités. Rien d’irrémédiable.
Intime connexion
Catherine Clémenson
Maurice Nadeau
199 pages, 98 FF (14,94 €)
Premiers romans Désir à haut débit
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Pascal Paillardet
En dressant le portrait d’une chasseresse en errance sur le Net, Catherine Clémenson dénonce les amours brimées et apprivoisées. Un roman qui se donne sans fard.
Un livre
Désir à haut débit
Par
Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.