Le 23 octobre 2000, avec des sanglots dans la voix, Curro Romero, le Toréador annonce qu’il se retire. À 66 ans, l’homme de Séville laisse derrière lui quarante-deux ans de tauromachie passés dans les arènes d’Espagne. Le lendemain, El Pais titre « Jour un de l’après Curro » et ce sont tous les Sévillans qui semblent partis à la retraite. Il y aurait donc à écrire une épopée autour du « Pharaon de Camas » entré de son vivant dans la légende. Mais, Francis Marmande le montre, Romero n’est pas un héros : aimé autant que haï (comme si l’amour était de la haine en plus lumineux), l’homme a raté bien des toros et réussi quelques miracles. L’écrivain (qui tient chronique tauromachique et jazzistique dans les colonnes du Monde) n’accorde pas sa plume au lyrisme d’un Jacques Durand (qui illumine les pages de Libération au moment des corridas) : il alterne ombre et lumière dans une succession de récits qui se refusent à l’hagiographie mais pas à l’admiration.
L’histoire tauromachique est faite de noms et de dates, de lieux et de légendes comme l’histoire des batailles. Elle s’écrit avec des sésames qu’il suffit d’inscrire sur la page blanche pour qu’aussitôt les aficionados se souviennent même de faenas auxquelles ils n’ont pas assisté. Si l’on entend ici cette musique qui dit aussi bien la fierté que le sang, la pisse et la peur, Marmande vise à circonscrire « l’arte » qui fait de la corrida un art inoubliable ou un ratage misérable. Qui fait l’un et l’autre parfois quand c’est Curro Romero qui torée : « ce premier jour de mai, personne ne croit plus en lui. Il est fini, fini, fini. D’un coup, sans prévenir, il aligne quatorze véroniques (quatorze) et trois demies. (…) Passe encore le nombre de véroniques, c’est leur génie qui compte, cette lenteur d’accompagnement, la façon de se centrer, les pieds posés sur la planète, le calme du tissu qu’on croirait repassé par la mère ». Alors c’est du délire et l’écrivain y apporte sa contribution : « De partout pleuvent successivement puis ensemble : des coussins, des bouteilles de Cruzcampo à moitié pleines, des sacs à main, un gros gant, des chapeaux cabossés, quelques sachets d’amandes, des millions de pipas en cornets qui explosent en touchant terre, de la farine, des gourdes de vin, des chaussures dépareillées, un enfant en bas âge, quelques animaux domestiques, une petite navette spatiale, trois javelots ». Quand Curro Romero « lie » les véroniques « en syntaxe songeuse », la littérature seule peut en faire la lecture. C’est pour cela qu’il n’est pas nécessaire d’aimer les courses pour en lire le récit. Pour deviner que la seule chose qui vaille, c’est encore le style avec lequel on vit. Avec lequel, on décide aussi de se retirer.
CURRO, ROMERO, Y CURRO ROMERO
FRANCIS MARMANDE
Verdier
102 pages, 75 FF (11,43 o)
Essais Retirada !
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Thierry Guichard
Un livre
Retirada !
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.