Dans Est-ce que j’peux placer un mot ? le poète Dominique Fourcade court après le mot de l’enfance perdu : le mot manquant de toute écriture.
Né en 1938 à Paris, Dominique Fourcade écrit depuis plus de trente-cinq ans. C’est un travail d’endurance que les écrivains connaissent bien, puisqu’ils ne sont jamais qu’en devenir. Ils s’arrêtent de l’être (au moins pour eux) au moment où l’écriture s’arrête elle-même. Dominique Fourcade parle souvent de cet arrêt de l’écriture et du vide qui envahit l’existence et vient alors troubler ce je si singulier de l’écrivain : la première page de Est-ce que j’peux placer un mot ? précise : « je me trouve dans le temps qui suit l’écriture d’un livre, halo de mort qui l’entoure et se prolonge (…) ». Interrogeant d’ailleurs, dans presque tous ses livres, les tempos inouïs et irréductibles de rythmes d’écriture, les siens comme ceux de poètes aimés (Olson, Dickinson, Rilke, etc.), l’oeuvre de Dominique Fourcade en vient alors à dessiner un art poétique. Son nouveau livre, semble-t-il, plus que jamais. Écrit dans le développement tout en dérive de ce qui lie et délie tout désir, Est-ce que j’peux placer un mot ? court après ce mot resté sur le bout de la langue, comme le coureur de fond se trouve toujours dans la hantise du point de côté. Ainsi, l’expérience de l’écriture concentre en elle tous ses risques, même ceux qui lui sont les plus opposés. C’est en cela que ce livre semble dresser un état des lieux dans la vie de l’écrivain. Mais se retournant sur son métier de pointe, essayant de regarder ce qui en lui a bien pu arriver, Fourcade constate, paradoxalement, qu’écrire ne revient, en somme, qu’à faire l’expérience d’un « tout arrive », selon les mots de l’en-tête d’une lettre de Manet.
Donc, « tout se complique parce que le mot se déplace sans cesse dans le tampax noir ». Parce que tout le travail de réflexion que Fourcade mènera sur la peinture de Matisse, par exemple, entrera dans celui de son écriture. Parce que les mouvements de la danse s’en mêleront aussi, et puis telle ou telle ondulation de tel ou tel champ : comment faire entrer l’esprit de tel phénomène, de telle peinture (Cézanne, Manet, Hantaï, etc.) dans un travail sur les mots ? Dominique Fourcade n’a jamais cessé de se poser ces questions-là, et ce jusqu’à aujourd’hui. Le Sujet monotype (1997) faisait référence à une technique de lithographie (le monotype) qui interdit deux passages de rouleaux, à Degas qui, héros et familier de ce livre, en usa plus que tous de façon vertigineuse. De pli en pli, le livre parlait d’un sujet impossible à cadrer fixement, de ses mouvements perpétuels. Est-ce que j’peux placer un mot ? continue à sa façon de le déplacer : il s’absente en partie, dans son titre même, de son sujet : le je est amputé dans la contraction de « j’peux ». Son « e » manquant, le voilà donc muet, en manque d’une capacité de prononcer et sa propre personne et, finalement, tout le langage. Comment faire, alors ? Tout le livre de Dominique Fourcade y répond de façon magistrale, en faisant passer ses réponses par tous les filtres possibles de perception, du sensualisme d’une proposition à une phrase opaque comme de la « confiture de coing », de « la valeur inchoative de l’infixe » à cette « voix de mûre noire » que l’auteur prendra. Et plus loin, il concède malgré tout : « Dans tous les cas, entrant le texte, je touche autistiquement l’opaque éclatant ».
Est-ce que je peux placer un mot ?
Dominique Fourcade
P. O. L, 110 pages, 100 FF (15,24 €)
Poésie Ce qui manque
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
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