S’il y a dans le mot « sagesse » l’idée de connaissance que lui confère son étymologie, alors sagesse ne convient pas pour évoquer le nouveau recueil de Jean-Luc Steinmetz. Mais si la sagesse, dans une acception toute orientale, consiste à savoir qu’on ne sait rien, et à en accepter l’idée, alors sagesse pourrait faire comme un sous-titre à La Ligne de ciel. Les poèmes ici ont en effet une évidente clarté qui parfois les rapproche des haïkus dont cependant ils n’ont pas la forme. Face au monde, le poète fait preuve d’une étonnante sérénité, voire d’une porosité cristalline. À 60 ans, Jean-Luc Steinmetz fait rimer « voir » et « contemplation » et trouve dans la vie elle-même un bonheur aussi incommensurable que léger : « Penser/ que des jours ici se suivront/ n’éprouvant sur eux que le ciel/ fonde un bonheur./ Non que/ soient restituées nos formes, plus tard (nous le/ savons), mais elles/ furent témoins de l’étendue,/ grandies en elle. »
À cette confiance donnée à la nature et au temps fait écho, chose surprenante aujourd’hui en poésie, une confiance accordée aux mots. Dès le premier vers, Steinmetz jette aux orties les dogmes de la modernité (« Y aurait-il audace encore/ à nommer/ le moment juste/ où c’est de fleurs qu’il est question ») sans pour autant revêtir le costume à paillettes d’un vieux lyrisme. Il s’agit d’être homme à sa place d’homme, c’est-à-dire à la fois spectateur du monde et déjà en partance, c’est-à-dire face à l’éternité et malgré tout mortel. On n’est donc pas éloigné de la définition de la modernité selon Baudelaire. Il y entre plus d’humilité que de grandeur.
Ne « jamais douter de ces mots » c’est aussi « penser qu’en eux l’autre est présent/ qui ne s’appelle pas nécessairement l’homme ». C’est croire en la dimension spirituelle de la langue, c’est l’accueillir et lui donner, sans mégaphone, une voix. Ou un tombeau serein : le biographe de Rimbaud et de Mallarmé ne déclare-t-il pas : « C’est ainsi qu’écrire nous mène/ un jour/ à disparaître à notre place. » ? La juste place se trouve dans une langue pesée au trébuchet, en harmonie intime avec le souffle du monde où « la vérité des vagues/ se reprodui(…)t/ telle qu’en plusieurs siècles/ deux ou trois surent l’écouter ». Les mots ici chantent comme chantent les fins ruisseaux et non comme rugiraient de furieux torrents. Nous sommes suspendus dans le temps qui passe (sans que cela affole), suspendus à quelques notes de cette musique du détail qui trouve son expression dans une série d’Études, partie du recueil où, en vers, Steinmetz parle de quelques mots. Comme « Inutile vient/ comme une vérité./ S’il fallait trouver le mot,/ celui que plus tard on ne rejette pas,/ celui-là serait/ faisant toute justice. »
Expérience d’une limite humaine confrontée à la mort des proches, à l’approche de cette décrépitude des corps qui effraie, la poésie affronte cet horizon derrière lequel on sombre. Mais plutôt que de redouter la chute (la mort est l’ombre de chaque vers), le poète fixe son attention sur le « bleu initial » de la ligne de ciel. Comme un sage ? Ou comme un funambule qui redoute le vertige ?
La Ligne de ciel
Jean-Luc Steinmetz
Le Castor Astral
164 pages, 85 FF
Poésie La condition humaine
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Thierry Guichard
Avec des mots justes, la poésie de Jean-Luc Steinmetz montre la voie de la sérénité.En regardant la mort de face, comme seul horizon.
Un livre
La condition humaine
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°33
, janvier 2001.