Une épouse quitte son mari, lequel séduit alors une jeune femme rencontrée à la sortie de l’école de leurs jeunes enfants. Mais, celle-ci étant mariée, voici trois couples à décrire. Sans compter l’impact que cette séparation aura sur la vie des amis de ces personnes. Les couples s’observent les uns les autres, comme pour tâcher de comprendre les modalités de leur propre fonctionnement.
Les amants sont saisis à des stades différents de leur histoire amoureuse, à divers moments de la journée, mais toujours le jeu social se mêle au sensuel et à l’affectif. Leurs relations évoluent selon des processus dont la description est novatrice même si l’écriture n’est pas toujours à la hauteur. Il y a pléthore de « dit-il » et de « dit-elle ». Quant aux doubles ponctuations « ?! » qui veulent d’un seul élan dire l’interrogation et l’étonnement, elles nous laissent sceptique.
Roman psychologique ? Histoires entrecroisées de couples qui hésitent à se faire et plus encore à se défaire. L’intérêt de ce roman réside d’autant moins dans ces histoires que, si les couples sont situés dans un contexte global (une réception, un restaurant ou la sortie d’une école), jamais l’insertion sociale des personnages en quête d’amour n’est évoquée de façon précise.
Ce qui importe à l’auteur, même au sein du groupe mondain le plus éphémère, c’est un homme et une femme, la façon dont ils se parlent, les regards qu’ils échangent, le regain de l’importance qu’ils ont l’un pour l’autre, ou son décroît. Ce à quoi la romancière attache toute son attention, ce sont les signes qu’ils donnent à l’autre, à eux-mêmes ou aux témoins, leurs infinies variations, avec leurs doutes. La conversation amoureuse, c’est ce contact ténu d’un être à l’autre, la gamme des émotions, tout ce qui, codé et socialisé, va malgré tout au-delà des conventions.
Les passages dont la réussite répond au titre sont nombreux. Il n’est pas sûr que ce soient exactement les mêmes pour tous les lecteurs… Mais, dès la première page, une certaine séduction opère : « Un couple de futurs amants marchait, au milieu de la chaussée, dans une rue piétonne, un peu avant l’heure du dîner. » Ce qui se passe entre deux personnes, la part de l’instinct, ou de l’intuition, la différence de comportement entre les hommes et les femmes, telles sont les idées que ces récits agitent en nous. « Aucun homme n’oserait répéter assez comme le corps d’une femme est présent, emporte le morceau aussitôt ou jamais, se prononce avant le conquérant, fait des confidences, attire ou repousse à lui seul le corps d’à côté. »
Les histoires qui s’ancrent dans les relations des corps se jouent dans la durée d’un dialogue dont le sexe est avant tout un moyen d’expression. De la jeune femme enceinte qui aura une aventure, on nous dit : « C’était une féminité nourrie au regard des hommes. » D’une autre femme, l’auteur écrira : « Elle s’avoua toute la vérité : Ce que j’aime, c’est son envie de coucher avec moi. C’est l’attiser. C’est sa curiosité. » La sexualité serait-elle plus le moment fondateur d’autre chose que sa propre fin ?
Rencontres, regards, désirs, frôlements, pensées d’un être pour un autre. L’autre nous habite. Et le sujet du livre, c’est peut-être l’interrogation sur la différence des sexes : est-ce que ça se passe de la même façon pour une femme et pour un homme ? D’où la citation de Shakespeare en exergue : « Que sais-tu ? Trop bien quel amour les femmes peuvent avoir pour les hommes. »
La Conversation amoureuse
Alice Ferney
Actes Sud
480 pages, 139 FF
Domaine français Eloge de l’attention
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Jacques Goulet
Dans son quatrième roman, Alice Ferney décrit quelques couples. Même en public, l’état de leurs relations se lirait dans les attitudes corporelles.
Un livre
Eloge de l’attention
Par
Jacques Goulet
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.