En 1998, Fabienne Raphoz-Fillaudeau, co-responsable des éditions José Corti crée une collection vouée au genre merveilleux qui s’ouvrira aux contes, voyages extraordinaires, utopies, mythes et légendes revisités. Sous une couverture bleue, très sobre, le lecteur avide d’histoires peut aujourd’hui trouver onze titres offrant l’amorce d’un panorama hétéroclite du genre. Un anonyme égyptien, Jules Verne, Bram Stoker, Wilhem Hauff, ou encore G. A. Bürger, des teintes très diverses représentent ici le même et unique « désir d’histoires ».
Après son envoûtant Au bord d’un lent fleuve noir (Lmda N°19) paru chez Joëlle Losfeld en 96, Anne-Sylvie Salzman nous offre Sommeil. Le texte, énigmatique, trouve sans peine une place dans le Domaine merveilleux. Constituant le onzième titre de la collection, il prouve que l’espace reste ouvert aux contemporains.
Un homme quitte Fels, ville de l’Est, arrive à Paris pour y chercher Esztena, sa cousine qui s’y est mystérieusement évaporée. Tiraillé entre la mémoire, les rêves et une réalité semblant tout mettre en œuvre pour l’égarer, il perd bientôt le désir de chercher cette femme, dérive et fait la rencontre de personnages inquiétants qui entretiennent des rapports troubles avec les morts.
S’il prend source dans des lieux identifiables, le monde d’Anne-Sylvie Salzman n’existe pas. La mise en œuvre d’une nouvelle réalité réussit rarement à ce point. Pour cela, Sommeil est un voyage intense et précieux. Subtile et maîtrisée, la langue y est toujours efficace. Le roman semble refuser parfois la modernité, comme pourrait le faire croire la description de l’un de ses personnages : « Sans doute vit-il dans notre siècle : il en arbore tous les signes. Mais son visage m’apparaît comme une ferme protestation contre l’esprit du temps. » Malgré tout, ce roman est extrêmement contemporain. Le monde peuplé d’ombres dont la romancière pousse les portes ne ressemble à aucun autre. La réussite tient en partie à ce que les morts et les absents parviennent ici à déborder de la mémoire pour envahir le présent, à y prendre corps.
Rencontre dans un café parisien proche du Luxembourg avec une jeune femme dont l’intention avouée est bien de faire dans l’intemporel.
Sommeil est le premier roman contemporain d’une collection jusque-là consacrée à des textes appartenant aux siècles passés. Quel rapport entretenez-vous avec la modernité en littérature ?
Mon écriture, mes préoccupations ne sont pas modernes. Mon terreau, c’est plutôt le dix-neuvième siècle. J’ai l’impression d’avoir un esprit ancien. La modernité, je fais comme tout le monde, je ne m’en écarte pas parce qu’elle est dans toutes les choses, mais j’essaie toujours de la décrire comme si elle n’était pas évidente. Elle m’ennuie, je n’ai pas envie de la laisser entrer chez moi. Je n’utiliserai pas des mots comme fast-food, portable. C’est un peu la démarche islandaise. Vous avez un vieux langage et vous utilisez des mots descriptifs,...
Entretiens Un monde à part s’éveille
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Benoît Broyart
Avec Sommeil, son deuxième roman, Anne-Sylvie Salzman continue d’explorer des terres profondément fictionnelles où le rêve permet l’émergence d’un univers unique.
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