Petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique
Elle s’appelle Gala. Elle écrit depuis les taches d’ombres qui sommeillent au creux des rêves d’après-midi. Elle se raconte, lâche par hasard son prénom au détour d’une phrase, page 28, et s’escamote la page suivante ; le livre n’existe pas encore, elle ne l’anticipe pas, l’écriture est là, une évidence, un exutoire pour une douleur indomptable. Un long monologue, un ressassement, des fragments volés, une courte vie en confettis oubliée sur le papier à lettres d’une chambre d’hôtel ou soigneusement consignée dans un petit carnet de route. Qui est Gala ? D’elle, jusqu’au bout, on ignorera tout. L’essentiel ? Sa fiche d’identité ? Ou le plus trouble de ses songes ?
Gala est cette « petite figurine en biscuit qui tourne sur elle-même dans sa boîte à musique » et qui donne son titre à ce premier roman. Quand on fait sa connaissance, elle se balance lentement au bout d’un fil près de céder ; son père est mort. Elle convoque ses souvenirs, des éclats de rires pour conjurer la maladie, la pâleur, la porte du crématorium. Elle entre lentement en hibernation ; un demi-sommeil peuplé de fantômes familiers. Les cauchemars de l’enfance se télescopent, entrent en contact soudain avec la réalité ; le monde autour d’elle se trouble, elle rêve et parfois se souvient avoir voulu tuer son père, l’avoir cherché en vain. Quelques images incandescentes, l’eau, le soleil, un homme les bras tendus ; des courses-poursuites, une chute, le vertige. Son « corps est une mémoire libre ». Elle « opprime la banalité », se réfugie dans un ailleurs voluptueux, s’invente des « symptômes de vie ». En vain. Elle veut fuir. Commence alors une fugue en la mineur, une déambulation onirique. Elle s’enfuit au hasard, monte dans un train, regarde des hommes et choisit Jack -c’est ainsi qu’elle l’a baptisé. Elle le suit, l’épie, se cache derrière les vitres des cafés. En vain.
« Je me suis appliquée à me décomposer, me mettre en miettes, me pulvériser. Tout mon temps à mettre au point des morts spectaculaires (…) à me prendre à bras le corps, à me faire valser dans les airs, le décor. Mais victime de ma maladresse je me suis abîmée et c’est tout. » Un mal de vivre inconsolé, inconsolable : la peur d’être visible, la peur aussi qu’on ne la voie pas ; le silence, l’oreille posée sur le parquet à écouter l’ascenseur monter et descendre. À attendre Jack. « J’étais obsédée par l’amour, l’amour fou, je voyais des signes partout, des signes de tout. Les choses, les végétaux, les éléments avaient leur langue. J’écoutais en arrêt la parole suprême, celle dont j’étais la seule destinataire. » Elle cherche son chemin au milieu des chuchotements, porte une attention particulière à la lumière, comme si, plante à peine éclose, elle devait encore commencer sa photosynthèse.
Gaëlle Obiégly, l’auteur, (car comment ne pas deviner dans les soupentes du texte la part d’autobiographie), dialogue avec un monde invisible, à peine pressenti, secret. « Parfois, je fermais les yeux et j’écoutais craquer mes os. Il me semblait que j’abritais un chantier. J’avais un monde bavard tapi sous l’épiderme. » Elle joue une interminable partie de cache-cache avec elle-même. Désirs, non-dits, battements d’ailes. Depuis cet entre-monde, elle nous adresse un beau, lumineux, lancinant récit qui entraîne et qui aspire. Un long poème en prose peuplé de « visions sauvages et irisées ».
Petite Figurine en biscuit
qui tourne sur elle-même
dans sa boîte à musique
Gaëlle Obiégly
L’Arpenteur
133 pages, 80 FF