Poète, traducteur, grand passionné de peinture et violoncelliste à ses heures, Jean-Claude Schneider, dont le nouveau livre paraît, a la patience et le regard lointain d’un homme du désert.
C’est à Antony, tout prés de l’aéroport d’Orly où devait s’agiter un balais d’oiseaux de fer, que Jean-Claude Schneider vit. La maison a la sérénité de ces lieux où rien ne prend le dessus sur rien. Un mur blanc et une corbeille de pierres, de haches taillés et de pointes de flèches d’un autre temps, une grande bibliothèque-escalier, des couleurs de bois, de miel, rehaussées par une langue d’herbe visible depuis le salon, suffisent à vous glisser dans un profond équilibre. Comme dans une pure abbaye romane, l’espace dégage ici une noblesse. Le lieu ressemble à cet homme au regard clair, rigoureux mais ouvert, qui enseigna l’allemand et en traduit les grands auteurs, dirigea avec Claude Esteban entre 1973 et 1981 la revue Argile. L’écriture de Jean-Claude Schneider relève tout à la fois de la pureté d’un ciel limpide et de l’âpre discontinuité d’un réel chaotique. Elle ouvre sur le corps une pensée comme sur une pensée elle verse un corps. Exigeante, épaisse et dense dans ses revirements, ses saccades, ce qui dialogue en elle croise toujours les couches multiples et contradictoires de notre façon d’exister. En quinze livres, on revient à des expériences immémoriales, primitives et propres à ce qui constitue toujours notre histoire.
Jean-Claude Schneider, votre premier recueil de poèmes, Le papier, la distance (Fata Morgana) paraît en 1969 : vous avez alors 33 ans. Jusque là, n’étiez-vous que lecteur et traducteur ?Non, j’avais publié dans différentes revues, comme les Cahiers du Sud ou les derniers numéros du Mercure de France, alors dirigés par Gaétan Picon. Puis je me suis aussi occupé à la Nouvelle Revue Française du domaine allemand, critique et traduction. J’ai toutefois mis du temps à me trouver, comme on dit, à me dégager de lectures marquantes, comme celle de Pierre Reverdy, André du Bouchet. Il s’agissait de trouver une distance, à la fois par rapport aux auteurs aimés et par rapport au réel, à ce qui nous fait face. On vous connaît aussi comme traducteur de l’allemand et du russe, entre autres, des fameuses Lettres du voyageur à son retour et de La Lettre à Lord Chandos d’Hugo von Hofmannsthal, de l’Entretien sur Dante d’Ossip Mandelstam et, avec Marc Petit, du poète Georg Trakl… Est-ce que la traduction est intervenue dans votre travail d’écrivain ?Olivier Messiaen disait que lorsqu’il composait, il ne pouvait improviser et inversement. C’est un peu la même chose entre l’écriture et la traduction : je travaille l’une et l’autre séparément. Cependant, le retentissement de l’une sur l’autre est inévitable. Paroles sous l’océan est justement une conversation souterraine avec les écrivains qui m’ont marqué, des Présocratiques à Celan. L’image de la chaux, par exemple, y revient, et je sais que c’est à Mandelstam que je la dois. Ce...
Entretiens L’épaisseur de la langue
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Emmanuel Laugier
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