Où se perdent les hommes
À Manosque où vit René Frégni, le soleil possède la même chaleur que celui qui dénude les bras des femmes dans son nouveau roman. Un soleil qui gonfle le cœur des détenus des prisons d’Aix et des Baumettes à Marseille et du centre de détention de Salon-de-Provence où l’écrivain anime des ateliers d’écriture. Tout comme Ralph, le narrateur du livre.
Une visite dilettante du centre ville de Manosque dévoile un café-restaurant au nom charmant, le Piment-café et une crêperie, La Barbotine où, dans le roman, « les pigeons font claquer le ciel de bourrasques d’argent et les femmes tournent vers la lumière des visages comblés ».
Où se perdent les hommes s’imprègne donc de la réalité et raconte comment un écrivain raté se trouve bouleversé par un détenu, Gabriel Bove, qui occupe la cellule C 318. Ralph s’attache à Bove, il s’émeut et s’insurge. Au point de vouloir le faire évader. René Frégni, dans une prose légère et violente tout à la fois, excelle à construire un jeu de miroir dans lequel l’image de l’écrivain revêt peu à peu celle du détenu. Ses phrases cisèlent à merveille le bonheur de la vie, celui qu’infusent les femmes, les odeurs de forêt, l’amitié, le bruissement des feuilles, autant de plaisirs refusés aux détenus sans que se relâche pour autant le nœud terrible du désir. Il sourd de ce roman une profonde humanité et on en sort avec l’envie naïve d’aller tutoyer les clients accoudés au zinc de n’importe quel bar.
L’occupant de la cellule C 318 à qui est dédié votre roman c’est Bove ?
Oui, sous un autre nom. Bove, c’est un hommage à l’écrivain Emmanuel Bove. J’anime des ateliers d’écriture en prison avec une douzaine d’hommes dans chacun. J’ai vu ce détenu arriver. Il n’a pas écrit pendant deux ou trois mois, il semblait persécuté. Il m’intriguait parce que les voyous, les escrocs participent assez vite à l’atelier. Pas lui. J’ai appris qu’il avait écopé de 18 ans de prison pour le meurtre de sa femme. Il était comme je l’ai dépeint dans le livre : il vivait avec le fantôme de sa femme dans sa cellule, il lui parlait, il peignait son portrait, il refusait les promenades. Un jour, il m’a invité dans sa cellule pour que je voie les portraits de sa femme qu’il peignait sur ses étagères. Il a partagé son repas avec moi. Pour l’aider je lui ai ensuite apporté de quoi faire de vrais tableaux. Un jour, il a tenté de se suicider et on l’a transféré au quartier psychiatrique des Baumettes. Quand il est revenu, quelques mois plus tard, il était d’une maigreur effarante. À tel point que j’ai voulu le faire sortir. Je me suis renseigné sur les moyens légaux mais il fallait qu’il ait accompli au moins la moitié de sa peine. Je pensais qu’il ne tiendrait pas jusque-là. Alors, j’ai commencé à étudier les moyens de le faire évader. Et, c’est là que j’ai pensé au procédé dont je parle dans le livre. Comme il ne voulait pas sortir, j’ai écrit le roman.
S’il avait été d’accord pour s’évader, vous l’auriez réellement...