L’homme, de petite taille, porte une timidité qui s’entend même dans sa parole, douce et basse. Polyglotte, il murmure un français parfait. Nuno Júdice est né dans l’Algarve, au sud du Portugal, en 1949. Critique littéraire à 20 ans, ses chroniques et son travail ont beaucoup influencé la modernité lusitanienne. Au point que Al Berto, le poète portugais vivant le plus connu en France, comparait Júdice à un phare projetant sa lumière sur le champ poétique du Portugal. Il est, selon Al Berto, celui qui a sorti le poème du ghetto dans lequel il s’enfermait, l’a rendu populaire sans, pour autant, lui faire subir une régression. Et c’est vrai que ce que l’on connaissait de la production de Nuno Júdice (grâce surtout aux éditions de L’Escampette) allait dans le sens de ce jugement selon lequel la nostalgie du poète pouvait être lue et ressentie par tous, sans qu’il soit besoin au préalable d’en faire l’exégèse, ni de l’accompagner de multiples notes de bas de page.
Aujourd’hui donc, Gallimard lui ouvre les portes d’une publication dans sa collection de poche Poésie en regroupant deux de ses plus récents recueils, publiés au Portugal en 1992 et 1994.
L’hommage est appréciable : c’est la première fois qu’un poète portugais vivant entre dans cette collection, où seul Pessoa représentait jusqu’alors son pays.
Le problème que pose toute traduction en poésie est d’autant plus vif ici qu’il suffit d’avoir entendu une fois Júdice lire un de ses textes pour mesurer aussitôt la perte de musicalité que ne peut manquer d’entraîner le passage du portugais au français. Néanmoins, on peut faire confiance à Michel Chandeigne, éditeur et responsable de la librairie portugaise à Paris, pour que cette perte ait été minimisée.
Lorsqu’elle ne s’interroge pas sur la poésie elle-même (avec quelques hommages adressés notamment à l’ancêtre Pessoa), l’œuvre de Júdice se plaît à évoquer des moments infimes de l’existence. De ces petits riens du quotidien dont l’auteur montre la part invisible de nostalgie (sentiment national) qu’ils renferment. Ainsi Petit Déjeuner : « La boulangerie se trouve là en bas, au coin de la rue,/ et il y avait auparavant une fille/ que tous reluquaient -car elle riait. »
À cette poésie du quotidien où l’on croise notamment des chats qui à Madrid « se cachent dans les murs/ et le lierre recouvre/ leur dos/ comme si c’étaient des rois ! » se mêlent donc des chants adressés à des poètes morts, à des écrivains, à des textes anciens comme s’il n’y avait aucune frontière entre le mythe et la réalité, l’expérience de la littérature et celle de la vie. On croise donc Camoens et Pessoa, Joyce et William Blake, Tacite et Platon. Ces auteurs sont comme le pain qu’on va, chaque jour, chercher dans des boulangeries où de jeunes filles riaient. Mélange des genres donc, mais également synthèse de nombreux courants littéraires ; ainsi trouve-t-on traces des lectures du surréalisme (« …les mouettes se brisent contre les rochers, comme des bouteilles blanches salies par un ceil de cendre. ») de la poésie japonaise (« …quiconque jette des objets dans l’eau est passible/ d’une amende. Oui :/ mais ce reflet de nuages n’est-il pas un objet, jeté là/ par un dieu distrait ? »).
Dans cette écriture qui semble ralentir le temps, la syntaxe est scrupuleusement respectée, le poème se fait souvent simple prose. Nuno Júdice semble se nourrir de siècles de poésie et tourner le dos aux avancées sémiotiques derrière lesquelles la modernité s’est rangée. Son credo pourrait tout aussi bien s’énoncer ainsi : la profondeur peut s’habiller de simplicité. Avec, à l’horizon de chaque recueil, le sentiment qu’un partage est possible.
Un chant dans l’épaisseur du temps
suivi de Méditations sur des ruines
Nuno Júdice
Poésie/Gallimard
Traduit du portugais
par Michel Changeigne
278 pages, 37,50 FF
Poésie Simplicité moderne
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Thierry Guichard
Célèbre au Portugal comme un des grands poètes actuels, Nuno Júdice a sorti la poésie de son pays du ghetto où l’hermétisme l’avait enfermée ;.
Des livres
Simplicité moderne
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.