Imaginait-il seulement (…) que j’avais réalisé le premier film sur les tirailleurs sénégalais de la guerre 14-18 (qui m’avait valu l’épithète « jeune gauchiste » de la part du Figaro), écrit une biographie de Muhammad Ali (…) ? » Cinéaste, biographe (La Légende de Muhammad Ali, Denoël, 1992), telles sont en effet les lettres de noblesse de Patrice Lelorain, également auteur d’un unique roman, Quick-Sandwich, publié chez Calmann-Lévy en 1991. Un nom presque inconnu qu’il conviendra pourtant peut-être un jour d’associer à ceux désormais célèbres de Paul Léautaud, Léon-Paul Fargue ou Guillaume Apollinaire ! Le point commun à tous ces auteurs ? Avoir consacré un livre à Paris.
On aurait la naïveté de dire un Paris pas tout à fait comme les autres, presque indiscret, ou que d’ordinaire l’on n’aime guère à dévoiler : celui des transports urbains, et plus particulièrement du métro. Que se peut-il trouver de mieux en effet qu’une rame de métro, devenant chaque jour la scène sur laquelle se jouent les drames parisiens, pour observer des personnages dignes de La Comédie humaine ? Patrice Lelorain y débusque d’étonnants spécimens : Jeanine qui ne mendie que le dimanche en fin de matinée, deux pétasses furieusement blondes accompagnées de leur yorkshire, un jeune after-punk qui s’injecte sa dose devant une assistance pétrifiée…
Mais dans ces chroniques très vives, Patrice Lelorain ne se contente pas d’exhiber ses prises. Ce qui l’intéresse, c’est « la psychologie des transports urbains ». Afin de mettre le réel à l’épreuve, il isole chaque scène que lui offre la vie quotidienne et constate par exemple que le récit comique ne s’avère pas un procédé efficace pour mendier (il parle de « l’échec incontournable du comique à but lucratif dans les transports urbains »). Derrière l’immuabilité des masques il tente aussi de deviner les orgies mentales qui s’ébauchent et qui demeurent « le dernier luxe des voyageurs urbains de cette fin de siècle ».
Même s’il aborde à peu près tous les grands problèmes de son temps, Patrice Lelorain ne se veut ni donneur de leçons ni redresseur de torts ; il ne moralise jamais, et s’il stigmatise, c’est comme malgré lui, simplement parce qu’il s’agit de fraude et qu’il se doit de fustiger les contrôleurs dans des caricatures extrêmement malveillantes : « troglodytes embusqués contraints pour survivre de traquer plus misérable qu’eux », « personnes sans grande qualification, souvent à la lisière de l’analphabétisme (quelle affaire pour recopier trois lignes sur une carte d’identité !) »…
Ces chroniques auraient peu de raisons d’être si cette exploration urbaine n’était portée par l’amour inconditionnel de l’auteur pour sa capitale. Au hasard d’une escapade nocturne, le narrateur tombe sur son « décor urbain favori : une rue bordée par une voie ferrée, pavillons plus ou moins cossus, immeubles disparates, maisons abandonnées, rails entremêlés, et d’autres, rectilignes, qui s’enfuient à l’horizon ». Plus loin Paris lui offre des surprises moins raffinées : « Une femme urinant entre deux voitures en stationnement et qui sourit à mon passage, des amants affairés dans le creux d’une porte cochère ». Mais aussi des déceptions : lignes de bus désertées, lieux mal desservis…
À l’acuité du chroniqueur Patrice Lelorain ajoute ici la passion de l’aficionado capable d’instiller d’authentiques notes de poésie dans des saynètes pourtant d’une rare insignifiance. À l’heure des zones franches et de la sinistrose urbaine, une telle prouesse mérite d’être saluée.
Paris Section urbaine
Patrice Lelorain
La Différence
125 pages, 89 FF
Domaine français Paris underground
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Didier Garcia
Une vingtaine de chroniques pour plonger dans les entrailles de la capitale. Vertige souterrain garanti, sur fond de crise sociale.
Un livre
Paris underground
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.