Nous avons assez d’histoires tragiques qui ne font que nous attrister. Il en faut maintenant voir une qui soit toute comique, et qui puisse apporter de la délectation aux esprits les plus ennuyés ; mais néanmoins elle doit encore avoir quelque chose d’utile."
Charles Sorel lance sur ces mots l’Histoire comique de Francion, Un épais roman qu’il publie en 1623 puis corrige dans quatre éditions entre 1626 et 1641. Gallimard restitue aujourd’hui celle de 1633, la plus complète et la plus aboutie. Cette restauration ajoute au Roman bourgeois de Furetière, au Roman comique de Scarron et à La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette, une pièce nécessaire à la compréhension du xviie siècle littéraire et social.
L’Histoire comique est celle de Francion, un jeune homme frais émoulu du collège où les Jésuites l’ont écrasé de calembredaines, qui découvre l’amour, les sciences et la philosophie. Tiraillé entre Laurette la vénale et Naïs la pure, Francion observe les rouages d’une société où se heurtent pauvres et riches, citadins et ruraux, institutions et esprits libres. Il aborde les différents champs de l’activité humaine et fait valoir que la bêtise et la censure sont des vices, que les casuistes pédants, les nobles indignes et les auteurs précieux en sont les bénéficiaires malhonnêtes.
Contemporain d’une Renaissance déclinante, Sorel (1599 ?-1674) a voué sa vie au projet encyclopédique d’une Science universelle. Lecteur systématique et épicurien, il fréquente le cercle des libertins érudits (G. Naudé, T. de Viau) dont il épouse les vues sur la liberté, la connaissance et les plaisirs. Il écrit son roman comme un projet social dont le point de départ serait un dictionnaire des idées reçues. Construit sur un enchevêtrement de récits et sur des modes narratifs variés (autobiographie, anecdote, apostrophe au lecteur, rêve, dialogue et correspondance) l’Histoire comique est bien le tableau d’une jeunesse qui s’amuse mais c’est aussi, toute proportion gardée, un Bouvard et Pécuchet du xviie siècle.
Savant à la langue leste et à l’œil pointu, Charles Sorel a mis son livre corrosif au service d’une éthique libertine qu’il sera contraint de masquer par crainte des pouvoirs religieux et politique. Plus tard, il écrira De la Prudence (1673) dont on se permet de penser qu’il maîtrisait le sujet.
Histoire comique de Francion
Charles Sorel
Gallimard/Folio
758 pages, 56 FF
Histoire littéraire Un plaisant savant
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Éric Dussert
Un livre
Un plaisant savant
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.