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Domaine étranger Les mots croisés de Julian Rios

juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16 | par Marc Blanchet

L’oeuvre polymorphe de l’Espagnol s’étend sur les cinq continents en quête d’un allègre métissage des langues et cultures. Une littérature dans tous ses états.

Avec la parution de Belles Lettres et Album de Babel, les éditions José Corti poursuivent la publication des œuvres de l’espagnol Julian Rios en français1. Davantage lus à l’étranger, les livres de Julian Rios sont les héritiers explicites d’une littérature qui a sans cesse bouleversé les codes de la narration, celle de Cervantès, Rabelais, Roussel, Carroll, Joyce… Ces écrivains deviennent souvent sous sa plume délirante de véritables personnages de fiction. Les genres littéraires se confondent : l’essai utilise trois personnages, le roman s’aventure dans les commentaires, le récit multiplie les clins d’œil à la littérature. D’emblée, la démarche de Julian Rios intrigue et séduit. Parfois rebutante par la multiplicité de ses références, dérangeante par l’absence, a priori, de linéarité, l’œuvre se construit progressivement pour faire apparaître un univers à l’image de celui dans lequel nous vivons, et où la quête du sens demeure toujours dans le fatras de l’information, la violence des hommes, les nombreuses civilisations qui, malgré leur uniformisation par la technologie, gardent leurs spécificités. Cette quête du sens exclut sans paradoxe la logique : le monde est fou, et l’écrivain le prouve. L’homme de lettres n’est pas le seul à souligner cette variété des langues, l’avènement d’un vaste et sauvage métissage : les peintres, les plasticiens, les photographes sont conviés à ce voyage. Car les livres de Julian Rios naissent de ses voyages, dans le plaisir des rencontres et des souvenirs. Ils expriment dans une jouissive copulation des mots la pluralité des cultures. Dans le texte L’aventure du lire, extrait de Album de Babel, Julian Rios écrit à propos de Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino : « L’ambition secrète du livre - il ne serait peut-être pas échevelée de l’avancer- est de transformer le lecteur en inventeur de son propre roman ». S’il existe une intention manifeste de Julian Rios, c’est celle-ci. L’écriture prend souvent une forme plus abstraite pour proposer une lecture plus profonde et attentive. L’évocation de la poitrine d’une jeune fille dans le texte Les Seins de Sena (Album de Babel) perpétue cet amour du jeu de mots qui permet la création d’une œuvre allègre et enjouée : « Les seins, ce que nous voyons en premier, mon frère jumeau et moi. Bon, d’abord moi et ensuite lui. Par ce grillage. Les seins de Sena. Les seins, roses et gros, entourés d’écume. Ce sont des îles, ce sont des seins ronds entourés d’eau de toute part. D’eau laiteuse avec des meringues. Et qui bouillonnent autour des îles. Ce sont les seins de Sena dans la baignoire. Sena est notre sœur aînée. Elle vient d’avoir quinze ans. Avant hier après-midi c’était sa fête. Happy-bathday to you !, lui ai-je soufflé en soufflant les bougies et tous, sauf Sena, on a éclaté de rire. » De telles « évocations » côtoient des réflexions plus analytiques, mais non dénuées d’humour, sur Le Singe grammairien d’Octavio Paz, Locus Solus de Roussel, le Don Quichotte de Cervantès, référence-leitmotiv avec l’œuvre de Rabelais dans les livres de Rios. Des textes sur les peintres Arroyo, Saura ou le photographe Antonio Galvez (le livre est abondamment illustré) complètent une démarche qui montre que Rios est bien le fils de ses lectures.
Littérature de l’ivresse, quand ce n’est pas de la drogue et de la défonce dans le cycle romanesque Larva, l’œuvre de Rios se devait aussi de consacrer un de ses volumes exclusivement à la gent féminine. À ce titre, la chair et le papier s’unissent dans Belles Lettres, abécédaire d’un amoureux éperdu qui reconnaît dans chaque femme un fragment d’un Éternel Féminin inaccessible. Les vingt-six lettres de l’alphabet qui introduisent chacune un épisode proposent un jeu : reconnaître, déguisées par l’imagination de l’auteur, des héroïnes de roman (tapez 3615 code RIOS). Au-delà de cette devinette implicite, Belles Lettres offre une découverte plus aisée de l’univers riosien (l’adjectif est lancé). Ces chapitres n’étant que des lettres adressées à une femme disparue que l’auteur imagine dans chaque texte exposée aux dangers de notre monde (attentats terroristes, guerres, accidents…), le lecteur ne découvre que progressivement dans ces portraits à la fois ironiques et émus une croyance en l’amour. Cocufiages, perversité, partie de cache-cache, hystérie, enfantillages sont le vernis des femmes. Dessous reposent des désirs plus sincères et un égarement touchant : « Trop tard, j’avance cette dernière hypothèse : elle me donna des ailes et prêta le flanc dès le début, pensant que ma folle théorie de l’osmose secrète et de la source de la jeunesse (fons veneris ?) était un moyen de nous rendre complices et d’entreprendre une « nouvelle marche » à Newmarch, peut-être nuptiale, pourquoi pas, commencer une idylle qui finit véritablement en duel quand elle réalisa que j’étais un incorrigible égoïste cinglé qui ne s’intéressait qu’à la résolution d’une énigme (il n’y a de majeure aventure que l’intellectuelle), résoudre le mot croisé qu’il avait devant les yeux, sans voir l’admirable personne assise à ses côtés ».
La nature intellectuelle de l’homme se retrouve manipulatrice et manipulée, placée dans un jeu d’aimantation, entre le désir de vivre l’amour et celui de transformer la femme en objet littéraire. Une vieille malédiction d’écrivain à laquelle Rios cède avec plaisir. Il y a là quelque chose d’exsangue : la femme s’évanouit au fur et à mesure que l’auteur la représente. Au chapitre R, Julian Rios décrit ainsi une femme : « Rousseau, le Douanier, aurait pu la peindre en belle au bois tropical de la nuit endormie, allongée sur un lit de fougères et entourée d’yeux cramoisis comme des fruits dans la végétation luxuriante. En fait, le nommé Douanier devrait la représenter en contrebande à la frontière indécise de divers règnes. L’animal et le végétal : ses tempes paillées de chevreuil accentuaient le parfum d’humide profondeur du bois, de mousse et de buissons qu’exhalait son corps. Le masculin et le féminin : ses épaules, larges et osseuses, ses grands pieds et sa grande silhouette de gars un peu dégingandé rendaient encore plus trouble et troublant le sourire amère de femme perdue, étranger dans ce visage infantile au menton doucement rond… » Et Julian Rios de continuer à décrire cette femme dans le « céleste et l’infernal (…) Ange ou bête ? » Lecture sensuelle des femmes, abécédaire ludique et riche d’allusions au monde littéraire, Belles Lettres offre toute la saveur d’une écriture où la chair se fait verbe.
Par ses néologismes, son invitation au voyage, son amour du métissage, Rios demande au lecteur de donner un sens au texte, d’y inclure ses sens pour en faire résonner toute la richesse. D’être auteur à son tour. Alors, soyons audacieux. En un mot : riosons.

1 Déja parus : Poundémonium (1994), Chapeaux pour Alice (1994), Larva. Babel d’une nuit de la Saint-Jean (1995), La Vie sexuelle des mots (1995).

Belles lettres et Album de Babel
Traduits respectivement
de l’espagnol par
Geneviève Duchêne
et Julian Rios
et par Albert Bensoussan
Éditions José Corti
248 et 300 pages, 120 FF chacun

Les mots croisés de Julian Rios Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°16 , juin 1996.