Les lecteurs qui ont découvert l’œuvre de Coloane à l’occasion des deux volumes parus chez Phébus en 1994 Tierra del Fuego et Cap Horn retrouveront dans El Guanaco un univers familier : mêmes décors de pierre et de glace peuplés pour l’essentiel d’indiens fuégiens et de quelques allogènes échoués dans ces confins de l’Amérique australe. Une fatalité, que l’on pourrait qualifier de minérale, dans la mesure où elle semble se confondre avec la réalité même des glaciers, des plaines et des cordillères du Grand Sud, pèse sur tous ces êtres dont le libre arbitre n’excède qu’en de rares occasions celui d’un iceberg du Cap Horn à la dérive.
Il n’y aurait donc rien de nouveau sous les vents de la pampa si, d’un point de vue formel, le livre ne jouait d’un renversement ironique. Quand les nouvelles des deux recueils précédemment publiés qui révélèrent au public français cet auteur chilien à l’âge vénérable de… quatre-vingt-quatre ans s’apparentent aux bribes d’un récit unique, tant leur unité est évidente, ce roman, ainsi que le désigne la première de couverture, évoque paradoxalement un arlequin textuel. Tour à tour essai de mythologie indienne, manuel d’histoire, de géographie, de géologie, voire même de toponymie et d’onomastique, biographie d’un bagnard d’Ushuaia, dénonciation des atrocités coloniales à l’encontre des indigènes…, El Guanaco se veut d’évidence une célébration totale de ces terres au bout du monde, collage littéraire dont l’aspect fragmentaire rappellerait par analogie le formidable éparpillement de l’archipel de la Terre de Feu.
Certes, la naissance et la vie d’une métisse, issue du viol d’une indienne par un chasseur blanc, sert de fil conducteur à l’ensemble, mais celui-ci n’affleure de temps à autre que pour mieux disparaître à nouveau dans le foisonnement des différents thèmes.
Au milieu de fort belles pages, le talent de Coloane s’égare à l’occasion dans des digressions si fastidieuses qu’elles font songer à des excroissances disgracieuses.
El Guanaco s’adresse prioritairement aux aficionados déjà nombreux de Coloane, les néophytes s’orienteront de préférence vers ses deux ouvrages plus haut cités, qui constituèrent à juste titre l’une des sensations de la dernière année éditoriale.
El Guanaco
Francisco Coloane
traduit de l’espagnol par
François Gaudry
Phébus
192 pages, 119 FF
Domaine étranger Des moutons et des hommes
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Eric Naulleau
Un livre
Des moutons et des hommes
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.