Sur le Motif est un livre rebelle, situé à la frontière des genres : Hubert Lucot nous donne en effet à découvrir des pages de journal, des bribes de carnets de voyages, des notes nées de la rue, qui cherchent « à détecter les signes (…) du changement », ou réfuter l’évidence du réel « en frôlant les murs »…
A l’instar de Guillaume Apollinaire et de Léon-Paul Fargue -avec respectivement Le Flâneur des deux rives et Le Piéton de Paris- Hubert Lucot profite des « spires aléatoires de (ses) promenades » pour photographier Paris. Son regard s’attarde sur un banc vide, découvre les métamorphoses d’une ville, s’étonne de ce qu’une cour ait traversé un demi-siècle sans que s’imprimât la patine du temps, avoue son « innocente surprise » devant le démantèlement et la rénovation, s’afflige parfois de la destruction du monde actuel : « débarrassés du vieux pittoresque, les mendiants, sobres, (…), exposent un peu de néant sur le trottoir propre »…
Poésie de la vue : Giacometti et Breton réincarnés en un seul être, Hubert Lucot se plaît à appréhender les « prestigieuses opérations routinières » des « existants » qui peuplent sa ville, comme à déchiffrer -ou plus simplement : décrire- les énigmes que propose le réel. Sur le Motif s’offre ainsi comme une manière d’album où chaque cliché porte témoignage d’un passage, où les instantanés saisissent la vie dans ce qu’elle garde de plus anodin, et peut-être d’essentiel.
Mais sur les décors qui charment ou effraient un regard accoutumé à l’errance, se greffent les souvenirs, et la flânerie propulse dans les territoires du passé. Dans ce recueil, le texte paraît ainsi se créer lui-même, n’obéir qu’à sa propre respiration, à mesure que le quotidien sollicite la mémoire : le passé émerge d’une rue, un paysage français se mue en réminiscence espagnole, comme le corps d’une aimée lointaine et sans doute disparue s’imprime sur un drap que l’œil se laissait à contempler… Peut-être parce qu’il s’agit avant tout de « FUIR dans les décombres d’une civilisation qui sont les derniers beaux jours », un monde évanoui supplante le réel ; « à tout instant en retard et en avance sur le temps réel » se contente de déplorer l’auteur, prisonnier de ce contretemps, asservi aux caprices d’une mémoire vélléitaire (Jac regrouper, Le Gato noir, Autobiographe d’A.M. 75 étaient déjà assaillis par des bribes autobiographiques).
Sur le Motif vit donc de visions plurielles qui s’enchevêtrent et qui offrent un décor sans cesse à recomposer, à jamais figé dans son devenir. La démultiplication des regards et des lieux -Paris, l’Espagne, l’Italie, quelques régions françaises- conjuguée au développement kaléidoscopique de la réalité, contribue à dérouter le lecteur, déjà malmené par une phrase qui s’écarte des habitudes syntaxiques et qui évacue parfois le sens au profit de la poéticité du texte ! Alors que le passé irradie le présent, que les frontières géographiques s’effacent et que la phrase se disloque, la flânerie d’Hubert Lucot devient notre propre dérive, une errance qui ne s’achèvera qu’à la dernière page…
La lecture d’Hubert Lucot requiert attention et vigilance : le brouillage référentiel et lexical qu’il opère en ses textes nous contraint à une lecture patiente, ponctuée de nombreux détours, ou retours. Projetés au cœur d’un texte en mouvement, nous sommes invités, contre notre gré, à contempler les motifs de notre environnement quotidien, ainsi qu’à consigner les détails d’un monde qui nous échappe. Telle serait peut-être la grande réussite de ce livre : nous inciter à regarder…
Sur le Motif
Hubert Lucot
P.O.L
155 pages, 95 FF
Domaine français Observations trouées
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Didier Garcia
Un texte fragmentaire qui fouille l’espace familier de Paris pour découvrir la fragilité du motif : Hubert Lucot au pays du Réel.
Un livre
Observations trouées
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°12
, juin 1995.