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Poésie La planche de vivre

décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10 | par Emmanuel Laugier

Les gardiens des livres : témoignage vivant de l’unique librairie de Moscou après la révolution bolchevique. Chronique d’une sauvegarde…

Moscou 1918-1922 : sous l’instigation de Pavel Pavlovitch Mouratov, de Mikhaïl Ossorguine et d’amis écrivains, journalistes ou professeurs, un fonds de commerce glacial devint La Librairie des écrivains, la seule dans cette ville qui prit le risque de s’ouvrir quand toutes les autres fermaient pour cause d’inventaire. Quatre ans dont Mikhaïl Ossorguine file la chronique quasi quotidienne dans un ouvrage intitulé pour lors Les Gardiens des livres. Que faire, en effet, des livres lorsque un pays, effondré par son engagement dans la Première Guerre mondiale, elle-même reléguée par deux révolutions internes successives, celle du soulèvement du peuple en février 1917 et celle bolchevique dirigée par Lénine en octobre de la même année, se trouve dans un état de crise économique et sociale, manque de tout, à commencer par la nourriture, du bois de chauffage ? Que faire des livres sinon les sauver lorsque les autres les transforment en un combustible, les échangent contre de l’huile, de la farine et des harengs ? Cette sauvegarde fut l’œuvre, donc, d’une poignée d’écrivains, sauvegarde d’autant plus active qu’elle rayonnait d’une fonction, celle de librairie, ouverte et accessible, localisable par sa devanture, sa vitrine, une simple planche inclinée qui servait de présentoir de livres. Lieu qui, sans autorisation et par la négligence du gouvernement, ne fut pas touché par les « décrets draconiens sur la municipalisation et la nationalisation » d’alors ; lieu qui réunissait philosophes, écrivains, historiens, poètes… ; lieu dans lequel on pouvait trouver « des exemplaires uniques de l’époque de Pierre le Grand » comme tout aussi bien discuter dans le détail avec un client de la meilleure traduction en russe des œuvres de Nietzsche. Bref, un lieu où des écrivains s’improvisaient vendeurs à leur manière, la passion de l’un le conduisant à parler d’un livre que la librairie n’avait jamais acquis, donc invendable, la compassion de l’autre l’amenant, devant un homme qui titube de faim, à lui acheter des livres illisibles comme des annuaires. La Librairie des écrivains fut tout cela. Toutefois, si sauver les livres consistait à les conserver, les sauver vraiment fut en publier de nouveaux, poèmes de Mandelstam, Tsvetaïeva et Maïakovski, essais divers, romans…C’est à cette entreprise que La Librairie se voua entre 1919 et 1921, permettant par ces manuscrits autographes écrits sur du bristol, des copeaux de frêne, des billets russes, du tissu, etc., d’aider les écrivains et leur famille. Les Gardiens des livres offrent en fin de volume le catalogue précis de ces publications, mais aussi par les reproductions d’une rare qualité de dessins en couleur d’Alexeï Rémizov et de poèmes de Marina Tsvetaïeva à l’encre rouge sur bristol bleu pâle l’exemple de ce qu’elles furent. Sauver les livres, c’était bien évidemment sauver et fonder, face aux cloisonnements de l’Histoire, ce par quoi l’homme parvient à être libre. C’est une leçon que donne cette chronique de Russie quand on voit des livres essentiels, s’ils ne disparaissent pas dans le bombardement de bibliothèques et la condamnation de leurs auteurs, être écrasés dans les États libres par les lois du marché économique. Sauver les livres n’est pas donné…

Les gardiens des livres
Mikhaïl Ossorguine,
Marina Tsvetaïeva

traduit du russe
par Sophie Benech
Éditions Interférences
115 pages, 120 FF

La planche de vivre Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°10 , décembre 1994.