Enracinées dans une culture prolétaire, une culture ouvrière, celle des petites villes américaines, les tranches de vie de Russel Banks définissent un monde où rien ne réussit mieux que l’échec. Histoire de réussir, au titre ironique et trompeur constitue un recueil de nouvelles qui nous parle de l’échec moral, l’échec social. On y voit comment les gens échouent, les uns au dépens des autres et surtout en dépit d’eux mêmes. Alors que règne la fatalité, ce qui rend les récits de Banks intéressants, c’est cette voix qui résonne au fond, cette manière qu’a cet auteur de nous montrer, de nous « faire voir » une situation à travers les yeux des personnages disparates et ainsi d’éclairer leur présence, de transmettre leur essence. Les textes de Russel Banks sont prisonniers d’un espace, d’une histoire. Comme l’a écrit L.S. Klepp critique au Village Voice les personnages de Banks semblent perdre leur innocence comme on perd ses clés de voiture sans savoir comment, ni où ni quand. Et ils ne s’aperçoivent que beaucoup plus tard de ce qu’ils ont perdu.
De beaux Lendemains, le roman que publient également les éditions Actes Sud, relate les conséquences de l’accident d’un autocar scolaire qui tue quatorze enfants dans une bourgade de l’État de New York. « Pour nous, avant l’accident, il y avait la vie, la vraie vie, la vie réelle si moche qu’elle ait pu nous sembler, et rien de ce qui a suivi l’accident n’offre avec elle la moindre ressemblance ». Russel Banks affirme avoir voulu écrire un roman dont le héros n’est pas seulement un personnage mais la communauté toute entière qui se trouve dans une situation d’impuissance face à tout imprévu. Il se fait donc le portraitiste d’une Amérique sombre, décadente, vidée de ses rêves, pleine de frustrations, une Amérique qu’il rend singulière en s’attachant surtout à certains détails plutôt qu’à des faits généraux. Ainsi si Banks renoue avec le grand roman américain et sa tradition naturaliste, celle de Dreiser ou Richard Wright, son œuvre se construit dans les années où se développe aux Etats-Unis le travail formel sur la fiction. On retrouve alors un incessant jeu sur les modes narratifs. C’est donc aussi dans son questionnement sur l’écriture et les enjeux du roman que Russel Banks trouve sa force.
De beaux Lendemains
et Histoire de réussir
Russel Banks
traduits respectivement
par Christine Le Bœuf /
Pierre Furlan et Pascale Musette
Actes Sud
253 p. 128 FF,190 p. 120 FF
Domaine étranger Le feu aux poudres
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6
| par
Philippe Castells
Des livres
Le feu aux poudres
Par
Philippe Castells
Le Matricule des Anges n°6
, décembre 1994.