L' Homme cristal (suivi de) Dernier Amour du Colonel Radoschkovski
L’Homme-cristal et Le dernier Amour du colonel Radoschkovski constituent la dernière partie d’un ensemble que Pierre Bettencourt a intitulé Histoire naturelle de l’Imaginaire. L’Homme-cristal nous conte le tragique destin de « ces magnifiques mâles géants qu’on appelle les hommes-cristal », cousins translucides de l’être humain qui peuplent les mers et que les pêcheurs capturent pour la Reine de la Grande Ile. Entre conte et légende, ce récit prend la forme d’un jeu de séduction entre l’eau et la terre, entre un monde aquatique et le « ferme », « l’opaque ». Son univers s’étend des profondeurs de l’océan au lit sur pilotis, lieu de la rencontre, de l’accomplissement, de l’étreinte des corps transparents et des corps visibles où dans la tentation d’un parfait équilibre l’homme-cristal est pour une nuit consacré dieu Priape.
Le dernier Amour du colonel Radoschkovski est la confrontation de l’Histoire et du non-temps à travers laquelle une équipée, le colonel Radoschkovski et Georges Alexandrovich Loupkine accompagnés de « je » personnage-narrateur, s’élance dans une expédition sur l’île de M., monde irréel habité par des femmes-mammifères, des femmes monotrèmes (vivant dans des galeries, ces « belles ensevelies » se reproduisent entre elles, pondent des œufs mais allaitent leurs petits). Ce voyage initiatique confronte aussi un monde familier - l’espace de la cité, l’Académie des Sciences - et un univers extraordinaire, le règne végétal et animal. A travers ces deux récits, Pierre Bettencourt se joue des traditions du mythe. Il tend en effet à ériger ses histoires en « histoires vraies », sacrées, ces histoires qui définissent les mythes. Ainsi ce voyage constitue un véritable retour aux origines, relatant des événements qu’on pourrait situer dans un temps primordial, au (Re)Commencement où les femmes et les hommes sont des êtres surnaturels, membres d’une espèce vouée inéluctablement à disparaître, dans un temps eschatologique. Ces aventures heurtent les personnages, les consomment et surtout en frappant de plein fouet le narrateur du Dernier Amour du colonel Radoschkovski elles s’auto-détruisent, s’achèvent. en effet, c’est ce narrateur qui confère au récit le statut de mythe en le présentant comme une « histoire vraie ». Mais ce narrateur n’est-il pas qu’un fabulateur comme le laisse supposer l’ultime phrase ? Peut-on lui faire confiance lorsqu’il nous dit : « je relate ici le récit qu’il (le colonel) devait nous faire par la suite ». Son discours n’est sans doute pas « débarassé de toute affabulation ». Les notes du prétendu éditeur, au bas des pages qui viennent rectifier certaines informations du texte ne sont-elles pas le témoin d’une escroquerie ? Mais c’est bien dans l’affabulation -l’affabulation comme l’arrangement des faits dans un roman, comme l’organisation du récit- que L’Homme-cristal et Le dernier Amour du colonel Radoschkovski trouvent leur cohérence, c’est peut-être là que Pierre Bettencourt élabore une fiction toute puissante.
L’Homme-cristal suivi de
Le dernier Amour
du Colonel Radoschkovski
Pierre Bettencourt
Lettres Vives
76 pages, 79 FF