Un livre

Possession

de A.S. Byatt

J’ai mis des années à comprendre que, pour aller à l’essentiel, je devais en revenir au romanesque, à ce que j’aimais lire lorsque la petite fille souvent malade que j’étais se plongeait avec avidité dans la fiction. » La profession de foi que fait Antonia S. Byatt à Libération (du 2/9/93), éclaire à elle seule l’immense succès du Booker Price 1990.
L’avidité, c’est bien ce que l’on ressent dès les premières pages de Possession lorsque Roland Michell découvre à la London Library deux brouillons de lettres enflammées du poète victorien Randolph Henry Ash (« cendre » en français*). Ces deux lettres, encore inconnues, laissent supposer que le grand poète eut une relation passionnée avec une inconnue. Le vol des deux manuscrits par le jeune étudiant, fervent admirateur de Ash, est un coup de génie romanesque. D’emblée, et sans laisser au lecteur le temps de souffler, Possession s’arme des effets du roman policier, mâtiné d’aventures. Roland se sent comme investi d’une mission : retrouver la trace de la destinataire des deux lettres, car cette relation jusqu’alors inconnue pourrait bouleverser des années d’études universitaires. Ses recherches lui donnent très vite un nom, celui de Christabel La Motte, une poétesse hermétique dans son style et dans sa vie. Obscure femme de Lettres du siècle précédent (mais c’est la faute au machisme anglais), Christabel a aussi ses zélateurs. En l’occurrence des zélatrices issues du rang des féministes. Ainsi Maud avec laquelle
Roland mènera ses recherches secrètes sous la menace de deux autres universitaires tarés et américains.
A S Byatt jubile à conduire sous nos yeux une enquête de détectives éclairés lancés à la recherche de ces deux poètes aussi fictifs que l’œuvre qu’elle leur attribue. Entre le présent de l’action où l’écriture pastiche une littérature anglaise défunte, et les fragments des poèmes de Christabel et Randolph, l’auteur finit par tisser une fresque en forme d’ode à tout un siècle de littérature britannique. Très dense et remarquable d’intelligence, le récit se lit avec la fébrilité des gens pressés d’en savoir la suite.
L’excitation qui nous anime vient probablement très largement de cette mise en abîme qui présente un couple imaginaire à la recherche de tous les détails de la vie d’un autre couple fictif. Seuls Maud et Roland répondent à notre vision des personnages romanesques, Randolph Henry Ash et Christabel La Motte résistent à ce sentiment. C’est qu’Antonia S. Byatt leur a offert une œuvre qu’elle nous donne, dans le même temps, à lire. La magie vient de là : la fiction offre toutes les garanties de la réalité.

*A ce propos, les éditions des Cendres sont les premières à avoir traduit Byatt.
Possession
A. S. Byatt
Traduit de l’anglais
par Jean-Louis Chevalier
Flammarion
511 pages, 145 FF