Main divine, lève-toi de moi, arrache de moi ce plafond !
Que faire d’une vie avant la mort ? » La voix monte, monte vers d’inaccessibles cieux, s’enroulant en fin de souffle, comme une déferlante, résonnant encore, le verbe tu, fouillant de ses mots le ventre de l’auditeur. L’Inquiétude de Valère Novarina vous prend au foie, à l’organique, vous touche physiquement, porté, lancé, jeté par un André Marcon impressionnant d’énergie. Un texte insoutenable sans le comique :
« J’allais frapper en direction de la porte de Direction Désirez-vous une augmentation ? Non, non, une diminution. Car je suis dit Jean-qui-perd-son-temps-qui-perd-ses-nombres-qui-perdent-les-chiffres, lui qui haït, lui qui s’évite moi-même de jour et nuit. Désirez-vous changer de nom ? Non, non, je me déteste moi-même bien trop. Que puis-je pour vous ? (ici, la voix de Marcon, plaintive) Faites que cette scène prenne fin ! ».
L’acteur joue de ce texte avec un bonheur rare, malaxant, caressant, triturant cette langue riche de sonorités, de rythmes et d’une musicalité très modernes. Matière presque charnelle des mots de Novarina, ingurgitée, digérée, recrachée par Marcon.
« Alors j’ai répondu à mon corps : « reste avec moi garçon, car je suis comme un homme qui danserait pour se débarasser d’un sac » ».
L’idée des éditions Tristram d’enregistrer en disque compact des textes de Valère Novarina joués (et non lus) par André Marcon avait été lancée il y a quelques années pour trouver un premier aboutissement en juillet 1987, avec l’enregistrement de L’Animal du Temps, la première partie du Discours aux animaux..
Les éditions Tristram découvrent un cuvier, dans le château de François des Ligneries, propriétaire d’un grand cru classé de Saint-Emilion. Le lieu est magnifique et l’espace permet de trouver le son idéal pour l’enregistrement (moins aseptisé qu’un studio et plus propre que lors d’une représentation publique). Le 4 juillet 1987, les 62 minutes de L’Animal du Temps sont « en boîte ».
Aujourd’hui c’est donc L’Inquiétude. Le Discours aux animaux II dont le texte sortira en juin aux éditions P.O.L, qui est proposé à l’oreille des amateurs. Créé en 1991 à Avignon et présenté en tournée européenne de 100 représentations à partir de septembre dernier, son écoute donne toute sa légitimité à une telle opération : la langue de Valère Novarina doit être au moins autant entendue que lue.
L’enregistrement s’est effectué en mai dernier, en une seule prise ; André Marcon, dans une aile du château, les techniciens dans l’aile opposée, l’acteur plongé seul dans le noir concentré sur un texte qu’il a déjà joué de nombreuses fois. Dans cette intimité, cet isolement, André Marcon est allé chercher une sincérité et une violence qui figent l’auditeur ; l’acteur n’interprète pas, il révèle le texte. Nous l’avons rencontré, de retour d’une tournée dans les pays de l’Est, en partance pour le tournage du film de Rivette dans lequel il tient le...
Entretiens André Marcon : la voix de Novarina
janvier 1993 | Le Matricule des Anges n°3
| par
Thierry Guichard
,
Laurence Cazaux
Sortie, en disque compact, de L’Inquiétude, le monologue de Valère Novarina joué par André Marcon. A écouter avant la parution, en juin du texte aux éditions P.O.L.
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