Voilà plusieurs mois maintenant que je n’écris plus. » Dans le sillage autobiographique de ses précédents livres, c’est ainsi que commence le quatrième opus d’Angela Lugrin. Que faire de cette panne d’écriture ? Pourquoi cet empêchement ? Et maintenant que quelque chose se tait, de quoi l’écriture était-elle le signe avant ? Entre le « je n’écris plus » inaugural et le « je n’ai plus peur de rester là » du titre, entre ces deux négations, l’auteure tente un itinéraire. Se tenir au plus près de l’amie, Marie Depussé, professeure de littérature, psychanalyste ayant travaillé à la clinique de La Borde auprès de Jean Oury, son fondateur. M.D à qui Angela Lugrin écrivait déjà une « Lettre impossible » en 2014 – sa première publication – dont la forme dialogique allait, pour partie, définir son esthétique. Alors pourquoi cette figure lumineuse fait-elle retour ? Peut-être parce qu’en 2017 M.D disparaît, et même si post mortem le dialogue à sauts et à gambades se poursuit, c’est avec l’absente qu’il faut composer, avec le vide et le silence qu’on espère ne « plus avoir peur de rester là », c’est-à-dire seule, de l’autre côté, exilée de « la parole vive ».
Une nuit, Angela Lugrin fait un rêve d’« une joyeuseté inattendue ». Marie est là, le rouge flamboyant à ses lèvres. Il est question « d’une route, d’un soleil implacable, de chaise en arc de cercle, d’une forêt et de silence »… Chaque élément livre alors son ciel et l’auteure s’y plonge. Ainsi que du vivant de son amie, elle prend « le risque de la noyade dans la parole, toujours plus prometteuse que certains silences, pour le meilleur et pour le pire ». Point de récit linéaire et prémédité ici mais « des chemins d’errance ». L’enfance revient et la figure de la mère. Sa fille qui percute sa propre adolescence, ses élèves, la salle 113 où elle les accueille et enseigne les Lettres…
Toutes ces vies et lieux minuscules que le livre esquisse en autant de tombeaux délicatement élégiaques.
Christine Plantec
Je n’ai plus peur de rester là
Angela Lugrin
Isabelle Sauvage, 134 pages, 19 €
Domaine français Je n’ai plus peur de rester là
janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249
| par
Christine Plantec
Un livre
Je n’ai plus peur de rester là
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°249
, janvier 2024.